Cinéma, amitiés et autres consolations

Vendredi 26 septembre, Mommy obtient toujours un très beau succès en salle et c’est tant mieux. Pendant ce temps, à l’ombre du plus récent film de Xavier Dolan, deux autres longs métrages québécois prennent l’affiche sans faire trop de bruit. L’un, 2 temps 3 mouvements, coproduit avec la France, a été tourné en partie dans Vanier, à Québec. L’autre, Qu’est-ce qu’on fait ici?, est le troisième long métrage de la réalisatrice Julie Hivon après Crème glacée, chocolat et autres consolations et Tromper le silence.films5312-QQFI_Affiche

Jointe au téléphone cette semaine, dans le cadre de la promotion entourant la sortie « discrète » de son nouveau film, la cinéaste espère que Qu’est qu’on fait ici? trouvera son public à travers la pléthore de sorties cinématographiques prévues cet automne, soulignant du même coup qu’un long métrage a aussi une vie en dehors du circuit des salles. Bien qu’habitant Montréal depuis des lustres, Julie Hivon désirait tourner dans sa ville d’origine, Granby, afin d’y filmer des lieux qu’elle aime (même l’inévitable Zoo), des endroits qui sont rattachés à sa jeunesse et ce troisième film lui permettait de le faire. Des scènes qui donnent une couleur particulière à son film ni rural ni urbain.

Bâti sur des souvenirs personnels, Qu’est-ce qu’on fait ici? tire son titre des réflexions et des sentiments qui habitent un groupe de copains dans la fin vingtaine, deux gars, deux filles, durement éprouvés par le décès accidentel du cinquième membre de leur bande. Ni sombre ni burlesque, le récit surfe sur les aléas du quotidien, la job, les sorties dans les bars, l’amour et l’amitié mis à l’épreuve autour de scènes parfois cocasses (les ex du défunt réunies aux funérailles), parfois tendres et désespérées (la quête effrénée d’amour du personnage de Roxanne).

À travers une distribution qui comprend Charles-Alexandre Dubé, Sophie Desmarais, Maxime Dumontier et Guylaine Tremblay, la nouvelle venue Joëlle Paré-Beaulieu se démarque particulièrement dans le rôle de Roxanne, une célibataire tomboy au physique rappelant celui de la chanteuse Lisa LeBlanc. « Joëlle joue un personnage difficile à caster. Je l’avais vue à l’impro et elle s’est avérée des plus étonnantes dans la peau de Roxanne, une fille vulnérable, qui cache sa féminité avec une énergie très masculine. » de préciser la réalisatrice.

QQFI_12_JulieHivon

Julie Hivon, réalisatrice

Julie Hivon avait envie, comme pour son premier film, d’explorer les questionnements existentialistes d’une génération qui aujourd’hui n’est plus la sienne. Et elle l’a fait en utilisant dans son film, en fond sonore, une ballade nostalgique de Gordon Lightfoot qui détonne volontairement à la première écoute, mais qui, pour la réalisatrice, illustre en tout point cet univers forgé d’amitiés solides. Cet air de Lightfoot puisé dans ses souvenirs d’enfance lui fait dire que sa plus grande joie en voyant le film terminé sur grand écran, c’est d’avoir constaté la grande complicité qui s’est installée chez les quatre comédiens principaux. « Ce groupe d’amis m’apparaît crédible, ça se voit, ça se sent au grand écran, et c’était important pour moi qu’on ressente cette amitié comme étant véritable en visionnant mon film, c’est ce qui me rend heureuse ».

 

Limoilou, évidemment!

photo Limoilou1

Limoilou. Crédit photo : Guy Nadeau

Si un quartier de Québec semble avoir la cote, c’est bien celui de Limoilou. Nouveaux restaurants branchés, épicerie fine, fromagerie, École de cirque, cafés, boulangeries font de ce quartier un épicentre culturel et gastronomique de la ville de Québec. Ce n’est donc pas surprenant qu’un film dédié à ce coin de Québec voit le jour et mette en valeur ses rues, ses balcons, ses commerces et surtout sa faune peuplée de trentenaires dynamiques qui rappellent par leurs actions le Brooklyn effervescent des dernières années.

photo Limoilou2

Limoilou. Crédit photo : Guy Nadeau

Edgar Fritz, aussi barman au Bal du lézard (véritable institution de la 3e Avenue), réalise ce film qui porte simplement le titre de Limoilou. Joint au téléphone plus tôt cette semaine, le producteur du film, Nicolas Léger de Ciné-Scène, était emballé à l’idée de présenter Limoilou en avant-première le vendredi 19 septembre, à 21 h 30, au Cabaret du Capitole dans le cadre du Festival de cinéma de la Ville de Québec. Pour lui, ce quartier était une évidence comme choix car le réalisateur, aussi scénariste, y réside et y travaille, tout comme la majorité des comédiens, et, de plus, les lieux rappellent aux yeux du producteur l’énergie qu’on peut retrouver sur le Plateau-Mont-Royal. Côté budget, le film a été réalisé avec environ 175 000 $ tout en profitant de  commandites et de l’aide fournie par de nombreux partenaires dont Locations Michel Trudel, une valeur ajoutée gonflant les chiffres de production à tout près de  400 000 $. « Rien que de l’argent privé, aucune subvention », de préciser le producteur.

L’histoire au cœur de Limoilou est celle de ces résidents, de leurs histoires d’amour, inspirées par une génération Y en quête de repères. Misant sur des comédiens plus passionnés que formés par la profession, le long métrage met en vedette certains visages connus du milieu culturel du centre-ville de la capitale dont Jean-Sébastien Grondin (Johnny Rottweiler), animateur à CKRL-FM, et Cristina Moscini, instigatrice des spectacles de la troupe Burlestacular. Autour d’eux se greffent de 40 à 50 figurants qui se sont prêtés à l’exercice en jouant leurs propres rôles. Après sa présentation vendredi, Ciné-Scène, agissant aussi à titre de distributeur, travaillera à la sortie officielle en salle à Québec prévue pour le début de l’hiver et à une éventuelle sortie à Montréal par la suite.

photo Limoilou3

Limoilou. Crédit photo : Guy Nadeau

 

Quand on demande à Nicolas Léger ce qu’il retient du tournage du film, d’emblée il répond ceci : « Pour moi, le réalisateur a fait un travail phénoménal pour rassembler une communauté, j’ai vu des gens s’investir dans ce projet, se regrouper par dizaines dans des scènes qui normalement auraient coûté une fortune, et juste pour ça je peux dire que c’est un film vraiment rassembleur ». Limoilou le film pique assurément la curiosité et démontre devant la caméra le caractère stimulant de ceux qui résident dans ce quartier et derrière le caractère fonceur de celui d’une bande de passionnés qui avec peu de sous foncent tête première dans le septième art!

 

***Projets : Ciné-Scène prépare une série télé en collaboration avec MAtv. Elle portera sur Roland Lachance, célèbre photographe de Québec qui, au fil des 50 dernières années, a immortalisé sur pellicule toutes les vedettes du show business québécois. Aussi, après L’Effet et Limoilou, un troisième film est en préparation. Intitulé La Urne, il est scénarisé par la comédienne Catherine Allard qui jouait le rôle principal dans le film L’Effet.

Sortir les films de l’Île

ipaulaquebec-400x300

La bande dessinée est à l’honneur cette semaine alors que Lulu femme nue mettant en vedette Karin Viard et tiré de l’œuvre d’Étienne Davodeau vient de prendre l’affiche en salle, et que, sur la rive sud de Québec, à Saint-Nicolas (Lévis), on entame le tournage de Paul à Québec, de Michel Rabagliati, réalisé par François Bouvier. Si le 9e art peut se réjouir de cet attrait de plus en plus fort du cinéma envers les bandes dessinées, la Ville de Québec, de son côté, doit-elle être emballée de l’arrivée d’une équipe de tournage dans la région, chose de plus en plus rarissime?

En fait, lorsque des équipes montréalaises débarquent dans la capitale et ses alentours, c’est bien souvent pour n’y tourner que quelques scènes extérieures et puis repartir illico dans la métropole afin d’y capter toutes les scènes charnières du film en chantier. L’exemple de 1987 vient immédiatement en tête, Ricardo Trogi ayant tourné devant le Parmesan et le Dagobert sur la Grande Allée uniquement pour les devantures des commerces. Le reste de son long métrage a été tourné à Montréal pour éviter les coûts de déplacement et d’hébergement de l’équipe technique et artistique. Pour Paul à Québec, le même phénomène est à prévoir. L’église et le cimetière seront identiques à ceux de la BD, et  Saint-Nicolas servira de décor durant cinq petits jours à un film dont le titre n’aura de Québec (la ville, la région) que le titre.1987-affiche

La chose n’est pas nouvelle, mais elle demeure tout de même frustrante. Un problème de ce genre ne se poserait pas si les projets de films, acceptés et financés, émanaient davantage de la capitale. Mais la SODEC a en décidé autrement. Toutes les raisons sont bonnes pour refuser les scénarios de réalisateurs de la région et de producteurs d’ici comme le souligne si bien l’actrice engagée Catherine Dorion dans son excellent billet publié dans le journal Le Carrefour que vous pouvez lire via ce lien: http://bit.ly/1wg4QIe.

La Ville de Québec organise des « états généraux » sur la culture à la fin du mois de septembre; une sorte de mise à jour de ses politiques culturelles et municipales, événement très attendu qui permettra aux artistes de la Ville de s’exprimer. Loin de moi l’idée qu’il faille mettre en priorité le secteur du cinéma lors de ces assises. Les milieux du théâtre, de la danse, des arts visuels et de la musique ont aussi chacun leur cheval de bataille. La rétention des artistes locaux étant une priorité pour le maire Labeaume afin d’éviter l’exode de talent vers Montréal, plusieurs programmes ont été mis de l’avant depuis quelques années pour favoriser la création et la diffusion culturelle à Québec. Bravo! Mais je dois avouer que par moments la situation dans laquelle se retrouvent les travailleurs en cinéma semble désolante. C’est le seul secteur des arts dont presque l’entièreté du budget de production est confiée uniquement aux grands bonzes de l’industrie tous basés dans la région de Montréal. On ne donne que des  clopinettes aux producteurs régionaux et aux projets de cinéastes qui n’habitent pas l’Île.

Le maire de Québec, et pourquoi pas aussi ceux d’autres villes comme Rimouski, Sherbrooke, Gatineau ou Val-D’or, se doit d’exiger une rencontre avec le gouvernement et la dirigeante de la SODEC Monique Simard afin de défendre les intérêts des travailleurs du cinéma de Québec et des régions. Décloisonner le milieu du cinéma, voilà la priorité. Car même si plusieurs réalisateurs ont récemment filmé la Gaspésie (Catherine Martin), le Lac-Saint-Jean (Sébastien Pilote) et l’Abitibi (Éric Morin), la production de leurs films, elle, était toujours celle des producteurs montréalais qui, au premier chef, trouvent bien peu rentable l’idée de s’exiler dans les « terres » pour y tourner un long métrage de fiction. Drôle de pensée pour une industrie qui, de toute manière, ne peut espérer une quelconque rentabilité, le cinéma étant l’art le plus coûteux à produire, mais aussi celui qui voyage le mieux à l’étranger comme reflet culturel. Québec ne doit pas seulement être le sujet d’une œuvre phare du 9e art, elle doit également devenir un maillon fort de l’industrie du cinéma québécois, être une ville d’envergure du 7e art, devant et derrière la caméra.

*En lien avec un précédent texte de blogue, selon Le Soleil, le film de Philippe Falardeau, The Good Lie, sera finalement distribué à Québec lors de sa sortie à la fin du mois d’octobre, et ce, avec sous-titres. Bonne nouvelle!

 

 

L’automne québécois de Reese

reese-witherspoon-wild-slice

Reese Witherspoon dans Wild de Jean-Marc Vallée

On parle avec raison du succès de cinéastes québécois sur la scène internationale, de la carrière poursuivie à l’étranger pour certains d’entre eux. Le nom de Denis Villeneuve vient évidemment rapidement à l’esprit quand on aborde le sujet et on peut ajouter qu’avant lui les George Mihalka, Yves Simoneau et Christian Duguay, s’étaient également expatriés durant plusieurs années pour bosser sur des films produits aux États-Unis, au Canada anglais ou en Europe.

Jean-Marc Vallée avait aussi fait un détour chez nos voisins du Sud après le succès de Liste noire pour y tourner deux films disons mineurs, Los Locos et Loser Love. Heureusement pour lui, le succès étonnant et tellement mérité de Dallas Buyers Club lui a permis de tourner rapidement Wild qui prendra l’affiche d’ici la fin de l’année. Mettant en vedette Reese Witherspoon (Legally Blonde 1 et 2), le film, autobiographique, décrit la traversée à pied du sentier Pacific Crest Trail (1 800 km) par l’Américaine Cheryl Strayed. Avec ce périple, cette dernière entend chasser les démons intérieurs qui l’habitent depuis son divorce et la mort récente de sa mère. Présenté tout récemment à Telluride au Colorado, au même festival où on avait pu voir Prisoners de Denis Villeneuve l’an passé, Wild a reçu un accueil très chaleureux des critiques qui ont souligné du même coup la performance remarquable de l’actrice dans le film. Witherspoon n’avait pas eu de rôle significatif au grand écran depuis celui de June Carter dans Walk  the Line pour lequel elle avait remporté un oscar. De son côté, le magazine Entertainment Weekly citait récemment Wild parmi les dix longs métrages à surveiller pour la prochaine cérémonie de l’Académie. Bref, tout roule pour Vallée et pour Reese.

La chose semble cependant différente pour Philippe Falardeau, qui, fort de la nomination de Monsieur Lazhar aux Oscars de 2012, est allé tourner The Good Lie aux États-Unis aussi  avec Reese Witherspoon au générique. À comparer les bandes-annonces des deux longs métrages, le film de Falardeau ne convainc guère, au contraire de celui de Vallée. Les deux œuvres ne sont bien sûr nullement en compétition l’une avec l’autre, mais la comparaison semble inévitable car, réalisés par deux Québécois, les films prendront l’affiche lors de la même saison en plus de miser sur la même tête d’affiche.the-good-lie-poster

The Good Lie, aussi inspiré d’une histoire vraie, raconte l’immigration difficile vers les États-Unis de quatre orphelins fuyant la guerre du Soudan. Sa sortie cet automne se précise, mais plutôt négativement. Marc-André Lussier de La Presse nous informait voilà quelques jours que le film de Falardeau sortirait à Montréal le 24 octobre en version anglaise seulement. On peut en conclure que le distributeur, Warner Bros, ne semble pas miser sur l’origine québécoise du cinéaste pour vendre le film ici et le distribuer à plus grande échelle, en français, et en dehors de la métropole. À moins d’un revirement de situation, les gens de Québec devront attendre la sortie DVD-VSD pour voir The Good Lie. Heureusement, pour Wild, la situation sera différente et c’est le 5 décembre que le nouveau cru de Jean-Marc Vallée prendra l’affiche un peu partout.

Pour revenir au point de départ, soit le travail de réalisateurs québécois à l’étranger, on espère pour Philippe Falardeau, et aussi pour Ken Scott (Delivery Man n’a pas connu le succès escompté), que les portes des studios américains leurs soient toujours ouvertes afin qu’ils mettent de l’avant des projets adaptés à leur sens inné du cinéma, et ce, comme Vallée et Villeneuve ont pu le faire depuis un an, eux qui semblent avoir mille et un projets en banque. Et pour Reese Witherspoon, l’année 2014 semble lui porter bonheur, car on la retrouvera pour une troisième fois au grand écran d’ici le début de 2015. Elle fait partie de la distribution d’Inherent Vice, le plus récent et très attendu film de Paul Thomas Anderson, adapté d’un roman de Thomas Pynchon. On souhaite à la comédienne d’autres beaux rôles pour les années à venir, sachant qu’à Hollywood une actrice qui atteint la quarantaine voit souvent, hélas, les propositions intéressantes se faire plus rares.