Les Démons au naturel

 

Démons_© FunFilm Distribution

Les Démons, réalisé par Philippe Lesage.

L’année 2015 nous a offert plusieurs beaux et bons films québécois comme Félix et Meira, L’Amour au temps de la guerre civile et Le Mirage. Parmi la trentaine de productions québécoises, mon préféré prend l’affiche ce vendredi et a pour titre Les Démons. Réalisé par Philippe Lesage, dont le travail est davantage reconnu du côté du documentaire (Ce Coeur qui bat, Laylou), sa première fiction renvoie à l’enfance, période aussi naïve qu’entachée parfois de lubies étranges, de peurs irraisonnées.

Le film est centré autour du personnage de Félix, 10 ans, joué par l’excellent Édouard Tremblay-Grenier (fils de la chanteuse Mara Tremblay et du Chick’n Swell Daniel Grenier). En toile de fond, le film porte sur les amitiés au quotidien des enfants qui l’entourent, amis, frère, soeur, avec en plus des parents qui se déchirent et un supposé prédateur rôdant dans le quartier. Avec Les Démons, Lesage signe un film impressionniste, flirtant encore un peu avec le documentaire. Tel un témoin privilégié, il transpose admirablement à l’écran et ce avec une certaine poésie, toute l’atmosphère parfois étrange qui émane de l’enfance.

En entrevue, le cinéaste avoue avoir écrit son film en se basant sur plusieurs souvenirs vécus dans sa jeunesse tout en essayant de lui donner un fil conducteur fictif. « Le scénario a été fort bien reçu, comme un page-turner. Par la suite, au tournage, je me suis approprié le récit pour en faire quelque chose de plus personnel, sans non plus en faire un véritable thriller. Comme pour mes documentaires, j’ai pu conserver une belle liberté lors du tournage. Avec les acteurs, je voulais qu’ils aient ce demons2sentiment de liberté tout en exigeant d’eux beaucoup de naturel dans leur jeu. Je voulais qu’ils s’expriment comme ils parlent au quotidien. J’ai dirigé le tournage pour atteindre une sorte de véracité, de scène en scène » de souligner le réalisateur qui a fait des études en cinéma au Danemark, à l’époque du Dogme de Lars von Trier et de Thomas Vinterberg.

Les Démons se distingue par son climat parfois angoissant, comme si le récit pouvait basculer à tout moment dans quelque chose de très sombre, le cinéaste se rappelant qu’un maniaque sévissait à Montréal dans les années 80 et qu’il avait une peur bleue à l’idée de le rencontrer ou encore, de voir les fantômes des enfants disparus. « Au-delà de ces peurs,  je voulais que mon film apporte également une réflexion sur les notions d’empathie et d’interdit, voire de cruauté chez un enfant. Ce n’est pas juste de l’innocence, mais un apprentissage face à ses propres démons, avoir conscience de l’autre » de conclure Philippe Lesage qui négocie présentement les droits musicaux de son prochain long métrage, Copenhague A Love Story dont il vient de finir la post-production.

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Vassili Schneider

La distribution des Démons est surtout constituée de jeunes comédiens, tous épatants de naturel. Parmi ceux-ci, Vassili Schneider, qui interprète François, le grand frère de Félix, son premier rôle important au cinéma. Un mois et demi après son audition, Vassili rencontra, par hasard à l’aéroport, Philippe Lesage qui lui confirma qu’il venait d’obtenir le rôle. Si le nom de famille de Vassili sonne une cloche à votre oreille, c’est tout à fait normal car il provient d’une famille assez étonnante de comédiens, l’équivalent des Baldwin au cinéma américain ou des Sutter au hockey canadien. Sa famille, d’origine française, s’est établie au Québec dans les années 90. Son père, provenant du milieu du théâtre, désirait partir pour trois ans à l’étranger. C’est finalement au Québec, sur un coup de tête, que la famille posa ses pénates, sans jamais repartir. Ainsi, au fil des 15 dernières années, on découvrit peu à peu, à la télé et au cinéma, les 5 frères constituant le clan Schneider, tous devenus acteurs.

L’ainé, Vadim, décédé en 2003 accidentellement, a entraîné les autres dans son sillon, lui qui jouait dans la série 15/A. Puis il y a eu Niels, remarqué dans Les Amours imaginaires de Xavier Dolan et qui mène actuellement une belle carrière en France ayant donné notamment la réplique à Fabrice Luchini  dans Gemma Bovary. Récemment, on a aussi pu voir Aliocha dans Ville-Marie aux côtés de Monica Bellucci, lui qui vient d’ailleurs de déménager à Paris pour y suivre les traces de Niels. Le cinquième frère, Volodia, bien qu’inscrit dans une agence de casting, se consacre quant à lui davantage à une carrière de musicien-batteur. De son côté, Vassili pense déjà qu’après ses études, il pourrait éventuellement suivre les traces de deux de ses ainés et partir vivre dans l’Hexagone Mais pour l’instant, pas question de parler de compétition entre les frangins, au contraire, chacun encourage l’autre au fil des rôles qui s’accumulent.  En 2016, on pourra d’ailleurs voir, ensemble au grand écran, Vassili et Aliocha jouant deux frères dans Monsieur Schneijder, l’adaptation du roman de l’écrivain français Jean-Paul Dubois, une coproduction mettant aussi en vedette Thierry Lhermitte. Les Schneider, c’est une histoire de famille qu’il faudra suivre attentivement.

Trompettistes à l’écran

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Chet Baker (1929-1988)

De nombreux concerts de jazz sont présentés à Québec ces jours-ci, octobre étant depuis plusieurs années un mois associé au Festival international de jazz de Québec. Le cinéma, lui, semble avoir peu exploré cet univers musical depuis 25 ans. Les films sur le jazz et ses artisans ont été rares, du moins en fiction. Dans les années 80, il y a eu bien sûr ‘Round Midnight de Bertrand Tavernier, une œuvre inspirée des parcours de Lester Young et de Bud Powell, et Bird de Clint Eastwood  portant sur le saxophoniste Charlie Parker. Je m’en voudrais aussi d’omettre Mo’ Better Blues, sorti en 1990, possiblement le film le plus sous-estimé de Spike Lee, une œuvre rendant avec une belle justesse de ton le quotidien des jazzmen noirs et la vie dans les clubs.

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Don Cheadle dans Miles Ahead

En 2016, la donne changera puisque deux films à saveur biographique prendront l’affiche. Deux réalisations s’attardant aux carrières immenses de deux immortels du jazz, deux trompettistes par-dessus le marché. Tout d’abord, il y aura Miles Ahead, un film réalisé par l’acteur américain Don Cheadle (vu récemment dans Iron Man) qui jouera Miles Davis en plus de coscénariser et de coproduire le projet. Le long métrage, dont le titre réfère à un album du maître paru en 1957, se penchera sur les mémoires du musicien et sur sa relation avec un journaliste du magazine Rolling Stone joué par Ewan McGregor. Reconnu depuis longtemps comme un dieu du jazz, Miles Davis, décédé en 1991 à l’âge de 65 ans, s’est fait un nom grâce aux albums Kind of Blue et Sketches of Spain notamment, en plus de composer la mythique musique miles1du film Ascenseur pour l’échafaud de Louis Malle. On se souviendra également de Davis pour ses déboires reliés à  ses problèmes de dépendance à l’héroïne. La rumeur veut que Cheadle se retrouve aux Oscars avec ce rôle. Pour l’instant, aucune date de sortie en salle n’a été officialisée.

Born to Be Blue sera la deuxième biographie à saveur de jazz à prendre l’affiche au début de 2016. Réalisé par le Canadien Robert Budreau, le film met en scène Ethan Hawke (Boyhood) dans le rôle du trompettiste et chanteur Chet Baker, l’homme derrière le classique My Funny Valentine. Baker, tout comme Davis, a connu la gloire dans les années 50 et a aussi éprouvé de graves problèmes de consommation de drogues, problèmes qui seraient à l’origine de sa mortelle défenestration dans un hôtel à Amsterdam, en 1988. Born to Be Blue plongera dans les vingt dernières années de vie de Chet Baker. Tout ça en attendant un éventuel film sur John Coltrane, qui sait?

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Ethan Hawke interprétant Chet Baker

Les heureuses noces cinéma/musique

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Sergio Leone et Ennio Morricone

Au départ, la musique s’est jointe au cinéma dans un but pratique et non artistique. Dès 1896, il s’agissait pour le pianiste invité à la projection en salle, de jouer assez fort pour couvrir le bruit mécanique du projecteur. Douze ans plus tard, on attribue à Camille Saint-Saëns le titre de premier compositeur de musiques pour le cinéma pour son travail conçu spécifiquement pour L’Assassinat du duc de Guise. Il faudra par la suite attendre l’arrivée du son à l’écran et l’invention du cinéma parlant avec Le Chanteur de jazz, en 1927, pour imposer, de façon synchrone, ce qui allait devenir un mariage des plus heureux entre les images d’un film et la musique qui les accompagne.

Passionné de musiques conçues pour le cinéma,  j’ai tenu durant de nombreuses années une chronique sur les bandes sonores dans le Magazine Le Clap. Ce travail m’a amené à m’intéresser aux liens si particuliers qui unissent cinéastes et compositeurs; des unions qui parfois s’étalent sur plusieurs décennies et qui marquent d’un sceau distinctif des œuvres devenues des classiques. Dans cette veine, le site internet Taste of Cinema  a consacré un fort bel article, construit sous la forme Bernard-Herrmannd’un palmarès, aux vingt plus grandes associations réalisateur/compositeur de l’histoire du 7e art. Certains tandems qui s’y trouvent sont évidemment incontournables, parmi ceux-ci :  Fellini et Nino Rota, Leone et Morricone, Spielberg et John Williams, Hitchcock et Bernard Herrmann,  David Lynch et Angelo Badalamenti. D’autres sont plus méconnues :  Eisenstein et Prokofiev, Michael Curtiz et E.W. Korngold (The Adventures of Robin Hood, 1938).

Si des duos québécois avaient à s’y ajouter, on penserait à ceux formés de Christian Duguay et du défunt Normand Corbeil (The Art of War, Hitler: The Rise of Evil), à celui incontournable reliant Gilles Carle à Stéphane Venne (Les Mâles, Les Plouffe) Plouffeou encore au récent mariage unissant Philippe Falardeau à Martin Léon (Monsieur Lazhar, Guibord). À l’international, plusieurs récentes associations réalisateurs/compositeurs sont aussi à surveiller : David Fincher et Trenet Raznor, Paul Thomas Anderson et  Jonny Greenwood, Darren Aronofsky et Clint Mansell, Jacques Audiard et Alexandre Desplat. Cet univers émotionnel amalgamant images et musiques est fort riche et ne se résume pas qu’à un seul classement, mais le palmarès de Taste of Cinema a le mérite de remettre en perspective des alliances qu’on tend à oublier et qui sont souvent au cœur même de la réussite d’un film.

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Nino Rota et Federico Fellini