Aller au cinéma «c’est fucking cool»!

« C’est juste fucking cool d’aller voir un film en salle, pis ça il faut le rappeler aux gens! » Cette phrase, elle est du cinéaste Daniel Grou, alias Podz, rencontré plus tôt cette semaine alors qu’il était de passage à Québec pour faire la promotion de Miraculum, son quatrième long métrage qui vient tout juste de prendre l’affiche. Cet énoncé du réalisateur, sans être un cri du cœur, réfère au débat actuel sur la rentabilité des films d’ici et sur un certain manque de curiosité du public québécois à découvrir sa cinématographie actuelle. Voir un film en salle relève du plaisir partagé, du plaisir d’assister à plusieurs à un divertissement, à une proposition, voire une vision artistique de la vie à travers une histoire filmée et projetée sur un immense écran blanc.

Si Podz, qui attire des millions de personnes devant le petit écran avec ses séries télé comme 19-2, réalise encore des films destinés aux grandes salles, c’est que le cinéphile en lui y voit une finalité qui n’a rien à voir avec la réalisation télé ou encore le visionnement en ligne qui gagne en popularité. D’ailleurs, discuter cinéma avec Podz est un pur bonheur. C’est un cinéphile vorace doté d’une mémoire vive impressionnante. Il peut parler d’un film de Michael Haneke, discourir sur les mules qui transportent de la drogue comme Gabriel Sabourin dans Miraculum et faire le lien avec l’exceptionnel film Maria Full of Grace puis ensuite s’amuser à jouer au jeu des sosies en comparant Marilyn Castonguay avec Julie Christie. Un vrai feu roulant!

Cela dit, la visite de l’équipe de Miraculum succédait cette semaine à celle du film L’Ange gardien, deuxième long de Jean-Sébastien Lord. Les deux films mettent en vedette Marilyn Castonguay. Avec humour, elle n’a pas su nous recommander LE FILM à voir au cours des prochains jours. S’il y a un lien à faire entre les deux œuvres, hormis celui de miser sur cette jeune actrice des plus talentueuses, c’est celui d’offrir une proposition assez différente de ce qu’on retrouve habituellement dans le cinéma québécois. Podz nous présente un film choral permettant de suivre le destin de sept personnages principaux. Lord, lui, à travers un drame social, flirte avec le thriller garni d’une touche totalement inusitée dont on peut révéler la nature sans nuire à l’intrigue. Le réalisateur a dû attendre pas moins de quatorze ans pour obtenir du financement et l’aval des institutions pour produire son deuxième long métrage. L’Ange gardien prendra l’affiche le 7 mars en même temps que Bunker, film réalisé par Olivier Roberge et Patrick Boivin, tous deux originaires de Québec. Bunker met d’ailleurs en vedette un autre gars de Québec, Patrice Robitaille, et se résume comme un huis clos militaire d’anticipation tourné au fil  des saisons dans la vallée de la Jacques-Cartier. Qui a dit que nos films se ressemblaient tous?

Bref, avec le Festival de cinéma pour enfants qui commence à Québec et le calendrier de sorties qui s’annonce pour le mois de mars, l’affirmation « aller au cinéma, c’est fucking cool », on risque de l’entendre à plusieurs reprises au fil des prochains jours. Qu’on se le tienne pour dit.

 

Distribution aux consommateurs

J’ai déjà abordé sur ce blogue l’éternel problème du calendrier de sortie des films au Québec, problème qui se pose aussi ailleurs dans le monde. Pourquoi certains longs métrages, qui nous semblent importants, ne prennent pas l’affiche dans la capitale? Cette tare du cinéma a encore fait jaser récemment en raison de l’absence sur les écrans de Québec de Nebraska du réalisateur Alexander Payne.

Le film a reçu six nominations aux Oscars qui seront décernés le 2 mars, dont celles du meilleur film, du meilleur réalisateur et du meilleur comédien (Bruce Dern). Malgré cela, le distributeur américain Paramount n’a pas jugé bon de le distribuer hors de l’île de Montréal. Le Clap pensait bien le mettre à l’affiche, non seulement pour la belle réputation dont profite le long métrage mais aussi parce que les films de Payne ont un public fidèle, et ce, depuis le début,  de Citizen Ruth, en passant par About Schmidt et Sideways.

Ce qu’il faut déduire de cette histoire, c’est évidemment que le distributeur n’a jamais cru au potentiel commercial sur notre territoire de ce drame intimiste tourné en noir et blanc. La version offerte étant de plus unilingue anglaise. Il faut aussi savoir que les règles de distribution au Québec sont très strictes lorsqu’un film ne possède pas de version française. Voici d’ailleurs ce que stipule la Régie du cinéma à ce sujet : « Un film peut être présenté en salle au Québec sans qu’il n’existe de version française. Pendant les 45 premiers jours de sa diffusion en salle, il peut être présenté sur un nombre illimité d’écrans. À la fin de ce délai, le distributeur ne peut exploiter qu’une seule copie de ce film ».

Bref, après le délai de 45 jours où le film a été présenté dans la métropole (Nebraska ayant pris l’affiche le 29 novembre 2013), une seule copie demeurait en circulation (comme la règle l’exige). Le distributeur a donc préféré la conserver sur le territoire montréalais. Ce qui en résulte, c’est qu’au fil des semaines qui passent, les salles en région finissent pas perdre de l’intérêt pour le film car le « buzz médiatique » associé à la sortie s’estompe et que la date de sortie en version DVD, Blu-ray, Netflix, iTune et VSD devient imminente. D’ailleurs, Nebraska sortira au Québec sur ces différents supports et plates-formes le 25 février prochain. La France, elle, sortira le film en salle en version française le 2 avril prochain. Étrangement, en fouillant sur Internet, on trouve, et ce, très facilement, une copie doublée en français sur différents sites de streaming. C’est donc dire que la version française existe, circule, mais hors des salles pour un public qui ne comprend que dalle aux lois actuelles du marché, une réalité qui donne l’impression que les distributeurs improvisent parfois leurs stratégies de sorties plus qu’autre chose.

Nebraska n’est qu’un exemple parmi d’autres. Le milieu devra rapidement réévaluer ses méthodes de sortie avant de perdre totalement le contrôle. La solution ne semble pas encore trouvée et les différentes tentatives d’innover se sont soldées par des échecs. Par exemple, Only God Forgives, mettant en vedette Ryan Gosling, a été lancé en salle à Montréal le 19 juillet dernier et en VSD sur Illico au même moment. Le résultat : de nombreuses salles ont boudé le film dénonçant l’absence d’exclusivité pour la présentation de cette œuvre violente et impressionniste. Pourquoi un cinéma sortirait un film que tout un chacun peut voir dans le confort de son salon au moment même de sa sortie? La question se pose.

Le modèle actuel de lancement d’un film en prend plein la gueule. Il consiste toujours grosso modo en une sortie en salle à une date précise pour l’Amérique du Nord, suivi trois ou quatre mois plus tard de la sortie DVD et de la distribution en VSD, pour ensuite être destiné à la télé payante puis diffusé (tard en soirée bien souvent) par les télés généralistes. Bref, il est du devoir des décideurs, des producteurs, des distributeurs et des diffuseurs de se concerter afin de s’adapter aux nouvelles réalités et surtout de ne pas brimer le cinéphile qui dans tout ça, a parfois l’impression de ne plus savoir où donner de la tête. Le débat ne fait que commencer…

Le cinéma québécois a le dos large!

Les médias et les réseaux sociaux sont omniprésents dans nos vies, du moins dans la mienne puisque grandement touchée par le journalisme. Via ceux-ci, j’ai l’impression qu’il ne se passe pas une semaine sans que la vitalité et la rentabilité du cinéma québécois ne soient remises en question. Même son savoir-faire et sa spécificité font l’objet de critiques. Remarquez que nombreux sont ceux qui défendent les artisans et leurs créations sur toutes les tribunes, au même titre que ceux qui vilipendent l’industrie. Mais ce débat sans fin, qui fait aussi rage dans d’autres pays comme la France, mène à mon sens à un seul constat : il y a une pensée généralisée qui ne voit dans notre cinéma qu’une activité de loisir, activité qui ne sert qu’à engraisser une machine trop subventionnée.

Pareille conclusion me désole. J’ai toujours vu le cinéma comme un divertissement certes, mais aussi et avant tout comme une nourriture pour l’esprit, au même titre que la peinture, la littérature, la danse et le théâtre. On ne crée pas que pour faire rire et pleurer, mais aussi pour réfléchir, pour se projeter vers demain ou mieux saisir le passé. C’est du moins l’espoir que j’en retire, et ce, malgré le fait indéniable que le cinéma, c’est aussi une industrie populaire qui veut être rentable, une véritable machine à sous.

J’étais invité à la fin du mois de janvier à Ciné-Québec. Cet événement regroupe annuellement, durant quelques jours, dans un hôtel des Laurentides, les distributeurs de films, les gérants de salles de cinéma, les réalisateurs et producteurs de longs métrages québécois. On y présente les bandes-annonces des films d’ici qui sortiront en 2014. En tout, on y a présenté des extraits de plus d’une vingtaine de productions. Je ne peux dire si elles seront toutes de qualité ou si elles attireront les spectateurs en masse, mais j’y ai vu, sans aucun doute, des bouts de films qui m’ont ébloui. Sans blague, l’année qui vient promet d’être impressionnante.

J’ai été séduit par les allures de fable fantastique du film Henri Henri de Martin Talbot, transporté par les émotions à fleur de peau du nouveau film de Podz, Miraculum. Glacé par l’intensité dramatique de Tom à la ferme de Xavier Dolan, intrigué par Bunker réalisé par le tandem originaire de Québec, Patrick Boivin et Olivier Laberge. J’ai souri devant le nouveau Denys Arcand, Le Règne de la beauté, j’ai été épaté par les couleurs du Coq de St-Victor, attiré par les frasques des adolescents de 1987 de Ricardo Trogi, conquis par le charme sportif de Laurence Leboeuf dans La Petite Reine. J’ai rigolé des clichés véhiculés sur notre cinéma soulignés par des policiers dans Furie d’Émile Gaudreault et j’ai finalement été troublé par Paul Doucet en père qui veut revoir son enfant dans le film La Garde.

« Vendu, j’ai l’air », dirait Yoda! Pourtant je suis assez critique envers les œuvres que nous réalisons bon an, mal an. Même si seulement le tiers de nos productions me rejoignent annuellement, j’aime mieux défendre la liberté de création et l’audace des François Delisle et Denis Côté que de me contenter uniquement de films pop-corn aux scénarios bâclés. Car si problème il y a dans notre cinéma, c’est le manque de films rassembleurs de grande qualité.

Rencontrés lors de Ciné-Québec, les comédiens Marc-André Grondin et Michel Côté ont eu de belles réflexions à ce sujet. Grondin estime qu’il faut, à l’image des Américains, investir dans la scénarisation. Le métier est valorisé aux États-Unis, il y a une tradition d’excellence en cinéma et en télévision pour les scénaristes, dira t-il. Côté, lui, affirme que nos films qui n’attirent que peu de gens sont solides. Ils voyagent dans les festivals, gagnent des prix, font avancer le cinéma. Le problème, précise-t-il, ce sont les films qui sont censés marcher et qui ne marchent pas. L’exemple de C.R.A.Z.Y. revient toujours, une œuvre aussi appréciée par le public que par les critiques. C’est vers ce genre de succès qu’il faut tendre. Bref, la qualité des films « grand public » doit être relevée. les résultats positifs se feront aussitôt sentir.

Le dossier est-il clos? Pas pantoute. On en rediscutera à la sortie d’une salle, et avec un sourire, je l’espère!