Distribution aux consommateurs

J’ai déjà abordé sur ce blogue l’éternel problème du calendrier de sortie des films au Québec, problème qui se pose aussi ailleurs dans le monde. Pourquoi certains longs métrages, qui nous semblent importants, ne prennent pas l’affiche dans la capitale? Cette tare du cinéma a encore fait jaser récemment en raison de l’absence sur les écrans de Québec de Nebraska du réalisateur Alexander Payne.

Le film a reçu six nominations aux Oscars qui seront décernés le 2 mars, dont celles du meilleur film, du meilleur réalisateur et du meilleur comédien (Bruce Dern). Malgré cela, le distributeur américain Paramount n’a pas jugé bon de le distribuer hors de l’île de Montréal. Le Clap pensait bien le mettre à l’affiche, non seulement pour la belle réputation dont profite le long métrage mais aussi parce que les films de Payne ont un public fidèle, et ce, depuis le début,  de Citizen Ruth, en passant par About Schmidt et Sideways.

Ce qu’il faut déduire de cette histoire, c’est évidemment que le distributeur n’a jamais cru au potentiel commercial sur notre territoire de ce drame intimiste tourné en noir et blanc. La version offerte étant de plus unilingue anglaise. Il faut aussi savoir que les règles de distribution au Québec sont très strictes lorsqu’un film ne possède pas de version française. Voici d’ailleurs ce que stipule la Régie du cinéma à ce sujet : « Un film peut être présenté en salle au Québec sans qu’il n’existe de version française. Pendant les 45 premiers jours de sa diffusion en salle, il peut être présenté sur un nombre illimité d’écrans. À la fin de ce délai, le distributeur ne peut exploiter qu’une seule copie de ce film ».

Bref, après le délai de 45 jours où le film a été présenté dans la métropole (Nebraska ayant pris l’affiche le 29 novembre 2013), une seule copie demeurait en circulation (comme la règle l’exige). Le distributeur a donc préféré la conserver sur le territoire montréalais. Ce qui en résulte, c’est qu’au fil des semaines qui passent, les salles en région finissent pas perdre de l’intérêt pour le film car le « buzz médiatique » associé à la sortie s’estompe et que la date de sortie en version DVD, Blu-ray, Netflix, iTune et VSD devient imminente. D’ailleurs, Nebraska sortira au Québec sur ces différents supports et plates-formes le 25 février prochain. La France, elle, sortira le film en salle en version française le 2 avril prochain. Étrangement, en fouillant sur Internet, on trouve, et ce, très facilement, une copie doublée en français sur différents sites de streaming. C’est donc dire que la version française existe, circule, mais hors des salles pour un public qui ne comprend que dalle aux lois actuelles du marché, une réalité qui donne l’impression que les distributeurs improvisent parfois leurs stratégies de sorties plus qu’autre chose.

Nebraska n’est qu’un exemple parmi d’autres. Le milieu devra rapidement réévaluer ses méthodes de sortie avant de perdre totalement le contrôle. La solution ne semble pas encore trouvée et les différentes tentatives d’innover se sont soldées par des échecs. Par exemple, Only God Forgives, mettant en vedette Ryan Gosling, a été lancé en salle à Montréal le 19 juillet dernier et en VSD sur Illico au même moment. Le résultat : de nombreuses salles ont boudé le film dénonçant l’absence d’exclusivité pour la présentation de cette œuvre violente et impressionniste. Pourquoi un cinéma sortirait un film que tout un chacun peut voir dans le confort de son salon au moment même de sa sortie? La question se pose.

Le modèle actuel de lancement d’un film en prend plein la gueule. Il consiste toujours grosso modo en une sortie en salle à une date précise pour l’Amérique du Nord, suivi trois ou quatre mois plus tard de la sortie DVD et de la distribution en VSD, pour ensuite être destiné à la télé payante puis diffusé (tard en soirée bien souvent) par les télés généralistes. Bref, il est du devoir des décideurs, des producteurs, des distributeurs et des diffuseurs de se concerter afin de s’adapter aux nouvelles réalités et surtout de ne pas brimer le cinéphile qui dans tout ça, a parfois l’impression de ne plus savoir où donner de la tête. Le débat ne fait que commencer…