Du cinéma à la télé, ben voyons donc!

Avril est un mois apparemment calme, un mois de transition pour les sorties en salle. Avril, c’est une période de l’année où on en profite pour lancer des films plus discrets ou plus audacieux avant l’arrivée du mois de mai et des bruyants blockbusters américains.

Cela dit, on peut aussi avoir l’impression, en ce moment même, d’être submergé par une tonne de films lancés sur les écrans. Il y en a effectivement beaucoup et de toutes les nationalités. De plus, le cinéma semble omniprésent, car on en parle constamment dans les médias : des films à venir pour l’été, des nombreuses bandes-annonces qui circulent sur Internet, des longs métrages à voir avec les enfants durant les vacances scolaires, des œuvres à surveiller au Festival de Cannes dont la présence de quatre films québécois dans les différentes sections, de la programmation d’Antitube à la Manif d’art, du FIFA et de Vues d’Afrique qui s’arrêtent à Québec. Bref, du cinéma partout, tout le temps… sauf à la télé.

Bon d’accord, j’exagère un peu. Mais, j’ai beau avoir le « câble », je ne regarde plus de films à la télé. Je n’en vois que très rarement et quand je dis télé, je veux dire canaux généralistes (Radio-Canada, Télé-Québec, TVA, V). Vous me direz qu’il reste les canaux spécialisés comme Super Écran, mais je n’y suis pas abonné et je déteste, de façon générale, les versions doublées en français. Il y aussi TFO, véritable château fort cinéphilique pour les irréductibles et Ciné-Pop pour les nostalgiques qui ont décidé de payer pour.

Sans verser dans l’amertume et les regrets, étant jeune, mon éducation filmique passait par tous ces longs métrages (doublés certes) qui étaient programmés au Cinéma de 5 Heures, en fin de soirée à Télé-Métropole ou l’après-midi avec Ciné-Quiz, aux Grands Films et au Ciné-Club de Radio-Canada. Ma jeunesse a été forgée de films de tous les horizons vus à la télévision. À Pâques, on passait L’Évangile selon Saint-Matthieu de Pasolini, le soir tard, Les Filles de Madame Claude avec Murray Head ou Les Chiens de paille avec Dustin Hoffman, en après-midi les comédies avec Pierre Richard ou L’Enfant sauvage de Truffaut et aux Grands Films les James Bond, Mon nom est personne et Le Salaire de la peur. Aujourd’hui, TVA n’offre que quelques blockbusters américains la fin de semaine, Télé-Québec n’achète presque plus de nouveautés, Radio-Canada diffuse du cinéma québécois la nuit et V ne s’intéresse qu’aux téléfilms cotés 6 alliant romance et catastrophe. La situation est selon moi DÉPLORABLE.

Mais d’où vient cet abandon général? Est-ce l’arrivée des canaux spécialisés, d’Internet, du DVD, ou encore des plateformes Web qui ont forcé ce phénomène. Un peu de tout ça possiblement. Mais finalement, même si aujourd’hui on peut voir presque n’importe quel long métrage où et quand on le désire, ce dont je me désole le plus, c’est de ne plus tomber par hasard sur un film présenté aux heures de grande écoute sur les canaux principaux et d’y rester, incapable de changer de « poste ».

Cela dit, cet été, devant notre écran cathodique, à défaut d’aller sur Ciné-Pop regarder un vieux film avec Bud Spencer, on pourra se consoler un peu avec un nouveau magazine portant entièrement sur le septième art, une émission de 30 minutes animée par Marc-André Lussier et Marc Cassivi ,à Télé-Québec, dès le 2 juin. On ne peut que souligner favorablement l’initiative. Nous sommes encore nombreux à avoir eu la piqûre du cinoche en regardant À première vue avec René Homier-Roy et Chantal Jolis. Une émission de ce type est trop rare et pour moi essentielle à la télé à défaut d’y revoir des classiques du 7e art à 20 h un jeudi soir. Et comme on dit souvent à la radio : on se laisse sur un extrait musical des plus nostalgiques, celui de Midnight Cowboy par John Barry, thème qui servait à présenter, je crois, une émission de type Ciné-Lune à Télé-Métropole vers la fin des années 70.

 

 

 

 

 

 

 

Du 7e au 9e art.

Alors que le Salon international du livre de Québec bat son plein jusqu’à dimanche, au Centre des congrès, se tient au même endroit la 27e édition du Festival de la bande dessinée francophone de Québec. Un festival dédié au 9e art, grandissant d’édition en édition et qui accueille durant cinq jours plus d’une centaine d’auteurs de bandes dessinées du Québec, de la France, de la Suisse et de la Belgique.

Depuis quelques années, on sent davantage de curiosité de la part des adultes envers la bande dessinée, lecture de genre réservée habituellement avec moult préjugés aux enfants ou aux adolescents émerveillés par un art qui fêtait pourtant récemment ses 100 ans. Au Québec, grâce notamment aux ouvrages de Guy Delisle et de Michel Rabagliati, la BD est maintenant regardée avec plus de respect par le lectorat adulte. S’il reste encore du chemin à faire pour bien ancrer la BD comme genre littéraire à part entière au même titre que le roman, la nouvelle ou la poésie, il faut avouer que ces dernières années le cinéma, lui, a plongé de plain-pied dans cet univers, y trouvant une source d’inspiration indéniable.

Faire le tour de toutes les productions s’inspirant de la BD ou les adaptant serait long et fastidieux. Il y en a des dizaines et des dizaines, pour la plupart, insoupçonnées du grand public. Qui est allé voir le plus récent film de Darren Aronofsky, Noé, sachant que ce péplum ne relevait pas principalement de la Genèse mais bien de la série BD scénarisée par le cinéaste et illustrée par le Québécois Niko Henrichon? Trop peu de gens savent que La Vie d’Adèle, l’un des films marquants de 2013, est à l’origine une BD ayant pour titre Le Bleu est une couleur chaude. On pourrait poursuivre longtemps avec de nombreux exemples qui confirment ce phénomène.

Aujourd’hui, les projets sérieux et réussis tirant partie du 9e art sont légion. Auparavant, les adaptations étaient  souvent associées à des œuvres désincarnées et médiocres (les Tintin des années 60, Gaston Lagaffe, Boule et Bill, Lucky Luke, etc.) ou confinées au monde des super-héros. Soulignons donc l’audace des bonzes de l’industrie du cinéma pour l’arrivée sur grand écran, ici comme à l’étranger, de productions récentes telles que Persépolis, Quai d’Orsay, Lulu femme nue, Ghost World, American Splendor, Watchmen et Le Tranceperceneige. Chez nous, on attend toujours le feu vert pour tourner la version cinéma de Paul à Québec de Michel Rabagliati. D’autres projets sont aussi sur la table et pourraient débloquer rapidement si le financement est au rendez-vous.

Bref, le mariage entre le 7e et le 9e art allait de soi. L’imaginaire des artistes œuvrant  dans la bande dessinée comme dessinateur ou scénariste se retrouve régulièrement au grand écran. Ce phénomène permettra à plusieurs cinéphiles de sortir de leur « bulle » et de découvrir les œuvres  originales. Alors, entre deux séances de cinéma, lisez une BD. Vous pourriez être surpris, y prendre plaisir, et ce, sans pour autant retomber en enfance.

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20 minutes ferme avec Albert Dupontel.

En janvier dernier, à Paris, à l’invitation d’UniFrance, j’ai eu l’occasion, durant vingt minutes, de m’entretenir avec le cinéaste et comédien Albert Dupontel sur place pour la promotion de son cinquième long métrage, 9 mois ferme. Le film prendra enfin l’affiche vendredi au Québec et raconte une histoire d’amour improbable et au départ forcée entre une juge et un jugé. Sandrine Kiberlain et Dupontel interprétant les deux rôles principaux.

Je connaissais l’œuvre de Dupontel depuis longtemps, me souvenant encore de l’avoir découvert en 1996, au Clap, dans Bernie, son premier film en tant que réalisateur. Depuis, j’ai pu admirer son travail d’acteur au fil des années, notamment dans Irréversible, Le Convoyeur et Un long dimanche de fiançailles. Albert Dupontel n’est pas le comédien le plus populaire, ou devrais-je dire célèbre, en France, ce qui ne l’empêche pas de mener une belle carrière sur deux fronts. Acteur recherché de cinéastes de tous horizons, de Becker à Blier, en passant par Klapisch et Deville, il est aussi devenu un réalisateur respecté, naviguant continuellement dans les eaux de la comédie  burlesque et grinçante (Le Créateur, Enfermés dehors, Le Vilain). 9 mois ferme est possiblement sa comédie le plus aboutie jusqu’ici et de loin son plus grand succès public. 2 millions de personnes ont vu le film en France. Heureux comme pas deux, Dupontel lui-même s’en étonne encore. « Mon film n’est pas conçu pour obtenir un aussi grand succès. Pour moi, c’est un quiproquo. Je ne fais pas un cinéma populaire, mais un cinéma à tendance populaire. Quand je fais un film, c’est parce que j’ai quelque chose à raconter. Mais quand je le livre, il est plein de pâtisseries, de sucreries pour être comestible. Il n’est pas livré comme ça: je suis un auteur et je vous emmerde. Non! J’ai besoin des gens, de leur regard, de leur amour. »

Avoir en entrevue Albert Dupontel, c’est faire la rencontre d’un homme affable, brillant, d’une franchise qui déconcerte et d’une vivacité d’esprit qui déstabilise et peut presque provoquer des malaises. En ce sens, il rejoint l’image qu’il projette au cinéma, celle d’un acteur pouvant jouer des personnages attendrissants, mais qui se spécialise dans le «pétage de coche» et les dérapages excessifs. Bref, il a les allures d’un humaniste engagé qui pourrait devenir un tueur en série l’instant d’après. Lors d’un entretien, cela donne des moments assez révélateurs sur sa nature et sa vision des choses.

Par exemple, sur sa relation avec Sandrine Kiberlain sur le tournage de 9 mois ferme, il dira : « C’est un accident heureux. Je voulais tourner le film en anglais avec Emma Thompson. Finalement, je l’ai tourné en français. Je cherchais une petite brune agressive, tout le contraire de Sandrine, mais elle a amené une tendresse et une émotion très étonnantes. Mais ça n’a pas été simple. Elle était un peu dilettante, un peu désinvolte, donc les répétions étaient compliquées. Au début, y a un texte qui n’était pas su, ça a un peu crispé la relation. On a mis cartes sur table et elle s’est mise à travailler, et même pas mal. Il a fallu qu’elle entre dans l’énergie du plateau ».

Sur le registre identique de comédie sur lequel repose tous ses films il répond : « Si vous sous-entendez que je ne me renouvelle pas, j’assume. Je n’ai pas envie d’analyser, car analyser, c’est réduire. Je suis sur un prochain projet et je vois arriver mes grosses ficelles même si je fais tout pour les camoufler. Un esprit acerbe comme vous les verra assez vite ».

Souriant et concentré, il peut déstabiliser son interlocuteur en avouant au sujet de la promotion de ses films : « Ce que je déteste le plus, c’est la sortie, la promotion de mes films. C’est super trivial, il faut parler de soi, il faut être pédant, hypocrite, faux-cul, exactement ce que je suis depuis dix minutes avec vous. Pour faire des films, il faut faire appel à ses qualités et pour les sortir, faire appel à ses défauts ».

La franchise de ce passionné l’amène aussi à passer un message politique et culturel quand on aborde l’avenir du cinéma. « L’exception culturelle française devrait être la norme pour tous les pays européens. Ce n’est pas normal qu’il n’y ait plus de cinéma allemand, espagnol ou italien. Bizarrement, les dirigeants européens ont tendance à vouloir supprimer cette exception culturelle. Cette Vieille Europe a beaucoup de choses à raconter, elle est plus nuancée, plus tolérante, plus humaine que l’Amérique qui est vorace, cupide et avide. Ce n’est pas à un Québécois que je vais apprendre ça ».

Au bout du compte, Dupontel est le genre d’artiste attachant, brillant, engagé et déstabilisant à qui l’on souhaite une longue carrière, autant pour son talent, son honnêteté que pour sa roublardise.