À la recherche du vrai Richard Linklater

Richard-Linklater

Richard Linklater, réalisateur.

Le film Boyhood, Jeunesse en version française, prendra l’affiche à Québec vendredi prochain. Sorti à Montréal depuis le 26 juillet, le nouveau long métrage de Richard Linklater profite actuellement d’une faveur critique incroyable. Sur le site Internet Rotten Tomatoes (incontournable pour saisir la tendance d’accueil nord-américaine), Boyhood obtient la note globale de satisfaction de 99%, un score évidemment exceptionnel. Le danger face à un tel engouement, c’est bien sûr de créer de grandes attentes, au risque de décevoir une partie du public qui ira voir le film. Boyhood

De mon côté, j’ai eu le privilège de visionner en version originale Boyhood la semaine dernière, déjà imprégné par les critiques dithyrambiques  émanant de la Métropole. J’ai aussi beaucoup aimé le film de Linklater, et, je puis dire que présentement il s’insère facilement dans mon top 10 personnel des meilleurs films de l’année 2014. Mais, car il y a un mais, je me suis fais prendre au jeu médiatique, mes attentes étant assurément trop grandes. J’avoue ne pas avoir été ébranlé par le récit, parfois un peu longuet, peuplé de quelques personnages secondaires plutôt caricaturaux. Boyhood demeure quand même une oeuvre à part surtout à cause de son procédé, soit de filmer durant 12 ans quelques moments  de l’enfance d’un garçon (Ellar Coltrane, étonnamment naturel et passif en sosie de Nick Stahl), en le faisant évoluer avec les mêmes comédiens qui constituent, du début jusqu’à la fin du projet, sa famille au grand écran. La vie de ce garçon se déroule à l’écran à travers une histoire texane toute simple. En résulte un portrait du temps qui passe,  un tableau teinté d’américanité, moderne et impressionniste tellement le réalisateur réussit avec adresse à juxtaposer ces douze années sans brisures ou ruptures de ton.

Cela dit, Boyhood m’a aussi amené à revisiter sur papier la filmographie de Linklater, un cinéaste américain dont je suis le cheminement depuis ses débuts en 1991 avec le film Slacker. Un artiste, qui, au contraire de plusieurs réalisateurs associés au renouveau américain des années 90 dont la carrière vascille (Kevin Smith, Allison Anders, Hal Hartley), s’est bâti une belle crédibilité au fil des ans. Linklater se forgeant une carrière cinématographique waking_lifeaussi intrigante que globalement réussie, flirtant autant avec les productions indépendantes qu’avec les comédies rassembleuses. Après Slacker, il réalise dans l’ordre Dazed And Confused, comédie nostalgique doucereuse sur fond de rock seventies devenue culte, puis Before Sunrise, premier volet de sa formidable trilogie avec Ethan Hawke et Julie Delpy (suivront Before Sunset et Before Midnight). Ensuite, se succèderont SubUrbia, Tape, The Newton Boys, le magnifique film d’animation Waking Life et The School Of Rock avec Jack Black lui apportant la gloire à l’international. Déjà, on ne peut saisir la véritable identité de Linklater tellement sa filmographie semble brouillonne, disparate mais également audacieuse. Les dix années de travail qui suivront ne nous aideront pas à mieux comprendre sa démarche, Linklater s’abreuvant au film de commande grand public (le remake de Bad News Bears)  comme au pamphlet vitriolique (Fast Food Nation).

En bout de ligne, on ne peut que constater la grande liberté d’action dont jouit le prolifique cinéaste texan, capable de nous décevoir (parfois), de nous émouvoir (souvent), s’affirmant par moments comme un exécutant hollywoodien de service, puis, grâce à sa trilogie des « Before » et à son 16e long métrage, Boyhood, comme un   surdoué du 7e art, celui qui surgit sans crier gare avec une nouvelle création qu’il signe en tant qu’observateur brillant et attentif des choses de la vie et du temps qui passe.

La vie en banlieue

viedomestiqueQuand on pense au cinéma français des dernières années, plusieurs titres nous viennent en tête. Que ce soit La Haine de Mathieu Kassovitz ou Un monde sans pitié d’Éric Rochant, ces films sont à la fois urbains et parisiens, voire marseillais pour les films de Robert Guédiguian. Ou encore, ce sont des œuvres campagnardes comme Le Bonheur est dans le pré ou provinciales situées chez les Ch’tis ou en Provence. Avec le nouveau long métrage d’Isabelle Czajka, La Vie domestique (en salle dès le 18 juillet), on change complètement de registre et on se retrouve en banlieue française, dans un décor américanisé, presque surréaliste pour des cinéphiles habitués aux décors naturels des films de Rohmer ou de François Ozon et ceux aux ambiances plus nocturnes et citadines de Léos Carax et de Gaspard Noé.

Dans La Vie domestique, on est ailleurs, vraiment! Emmanuelle Devos interprète Juliette, l’un de ses plus beaux emmanuelledevosrôles au cinéma, et Dieu sait qu’elle les accumule depuis quelques années. Mère de famille, Juliette vient du milieu littéraire et se retrouve entre deux emplois à déménager en banlieue où son conjoint vient de se trouver un travail comme proviseur dans une école. Ses journées dans son nouvel environnement seront marquées par des conversations banales avec ses voisines, toutes femmes au foyer, alternant les promenades au parc et celles au centre commercial du quartier. Baignant dans l’American way of life  où les rôles familiaux sont déterminés et caricaturés, Juliette sombre peu à peu, et ce, à l’intérieur d’une seule et même journée, dans une révolte dépressive irréversible.

Le film, adaptation d’un roman paru en 2006 (Arlington Park) de Rachel Cusk (écrivaine britannique née à Saskatoon), se concentre sur la manière de vivre en banlieue parisienne et surtout sur la nature des relations hommes-femmes encastrées dans un milieu bourgeois, parfois réactionnaire et misogyne, où tout semble programmé au quart de tour. L’intérêt réel pour ce long métrage atypique émane évidemment du contexte français de ce récit acidulé aux couleurs trompeuses d’un épisode de Desperate Housewives.

Le film, lancé ici en pleine saison estivale, pourrait hélas passer inaperçu. Dommage, car cette œuvre forte, à l’humour grinçant et au constat douloureux, se veut une réflexion appropriée sur un mode de vie aseptisé qui camoufle souvent un mal-être associé à bien des symptômes qu’on pensait, à tort, exclusif à la manière de vivre des Nord-Américains.

Voici la bande annonce du film La Vie domestique ainsi que l’adresse Internet pour visionner l’entrevue réalisée pour le Clap avec la réalisatrice Isabelle Czajka.

http://www.clap.qc.ca/entrevues

 

 

 

 

 

Zéro écran pour Terry Gilliam

zero-theorem-title2Le 22 juillet prochain sortira en format DVD et Blu-ray ainsi qu’en VSD le tout nouveau long métrage du réalisateur Terry Gilliam, The Zero Theorem. Ce choix de sortie veut automatiquement dire que son film ne sera pas projeté en salle au Québec, une chose étonnante compte tenu de la réputation de l’artiste, de la brochette de vedettes au générique de The Zero Theorem et du sujet potentiellement vendeur au cœur de ce douzième long métrage du Britannique d’adoption, reconnu pour son travail au sein des Monty Python.

fid12390La distribution des films, je l’ai déjà souligné sur ce blogue, est un phénomène difficile à comprendre. Ce volet essentiel relié aux sorties de films à l’international comporte plusieurs mystères et problématiques. Pourquoi une œuvre sort-elle en salle et une autre uniquement sur les tablettes des clubs vidéo ou en Vidéo sur demande? Les clauses, nombreuses, et les droits parfois onéreux pour l’acquisition d’un titre en particulier apportent leur lot d’embûches pour le distributeur local et le forcent souvent à revoir sa stratégie de mise en marché et d’exploitation d’un film étranger que ce soit pour la date de sortie ou le support envisagé.

Hormis les aspects administratifs, financiers et de protection de territoire, celui de l’attrait de l’œuvre sur le grand public est à considérer fortement lorsqu’on doit mettre en marché un long métrage. À une époque, il était normal qu’un film mettant en vedette Gérard Depardieu ou Daniel Auteuil, se retrouve au grand écran au Québec. THE-BEST-OFFER_posterSystématiquement, un film signé par Brian De Palma ou Francis Ford Coppola était distribué en salle à Montréal et Québec. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, la donne a changé comme nous le démontre l’arrivée directement en DVD de longs métrages signés par ces cinéastes de renom ou ayant à leur générique des acteurs connus du grand public mais qui, pour de multiples raisons, n’auront aucune diffusion en salle au Québec. C’est le cas pour le plus récent film de Gilliam, mais aussi pour celui de l’Italien Giuseppe Tornatore, le cinéaste derrière Cinéma Paradiso, dont le long métrage The Best Offer avec Geoffrey Rush vient tout juste de sortir ici directement en DVD.

Revenons au cas de Gilliam: il est étonnant de constater que Metropole Films, le distributeur au Québec, n’a pas voulu tabler sur l’aura du réalisateur et sur la beauté futuriste et surréaliste de cette œuvre suscitant la curiosité et ayant à son générique Matt Damon, Christoph Waltz, Tilda Swinton, Ben Whishaw, Peter Stormare, David Thewlis, Mélanie Thierry et le jeune Lucas Hedges. L’histoire fabuleuse de The Zero Theorem est quant à elle résumée de cette façon par la production… Dans un avenir proche, à Londres, les avancées technologiques ont placé le monde sous la surveillance d’une autorité invisible et toute-puissante : Management (Damon). Qohen Leth (Waltz), génie de l’informatique, vit en reclus dans une chapelle abandonnée où il attend désespérément l’appel téléphonique qui lui apportera les réponses à toutes les questions qu’il se pose. Management le fait travailler sur un projet secret visant à décrypter le but de l’Existence. La solitude de Qohen est interrompue par les visites des émissaires de Management : Bob (Hedges), le fils prodige de Management et Bainsley (Thierry), une jeune femme mystérieuse qui tente de le séduire. Malgré toute sa science, ce n’est que lorsqu’il aura éprouvé la force du sentiment amoureux que Qohen pourra enfin comprendre le sens de la vie…

Terry Gilliam, réalisateur.

Terry Gilliam, réalisateur

Comment expliquer l’absence au grand écran d’une oeuvre aussi inspirante, si ce n’est que par les échecs réguliers des dernières réalisations de Terry Gilliam (The Brothers Grimm, Tideland, The Imaginarium of Doctor Parnassus) et par l’accueil plutôt tiède réservé à The Zero Theorem lors de sa présentation à la Mostra de Venise, en 2013. Hélas, et c’est ce qui attriste les nombreux fans du réalisateur maintenant âgé de 73 ans, ce manque de confiance envers sa plus récente œuvre dénote un manque de plus en plus cruel d’audace des distributeurs, un rejet d’une vision artistique forte qui nous a donné des films aussi marquants que Brazil, Time Bandits et 12 Monkeys. La situation sera-t-elle appelée à changer pour le mieux ces prochaines années? Difficile à prédire. Alors d’ici la sortie en catimini le 22 juillet de The Zero Theorem, c’est avec sa bande-annonce que nous serons appelés à rêver d’un cinéma plus audacieux à prendre place sur nos grands écrans, un cinéma à l’image de la vision fertile et délirante d’un artiste hors norme, Terry Gilliam.

Julie Lambert, chasseuse d’images

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Une réalisatrice de Québec, Julie Lambert, lancera son premier documentaire à l’automne, un long métrage intitulé Un film de chasse de filles. Julie habite Québec depuis une douzaine d’années. Travailleuse sociale, artiste multidisciplinaire et grande voyageuse, elle a signé plusieurs courts métrages documentaires et s’est intéressée à la chasse au féminin lors d’un voyage en Abitibi voilà quelques années. En tombant sur la liste des inscriptions à un cours de chasse donné par l’un de ses amis, elle s’est aperçue, avec surprise, que la moitié des personnes inscrites était des femmes. S’étonnant de ces statistiques, glanant des informations à gauche et à droite sur ce phénomène (Au Québec, le quart des chasseurs sont des femmes), elle a développé son projet de documentaire sur les chasseuses et a profité d’un congé de maternité pour élaborer son scénario et obtenir le financement nécessaire à la production du film.

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Julie Lambert, réalisatrice

Un film de chasse de filles dresse le portrait de passionnées de la chasse : des femmes de plusieurs générations (14, 28, 50 et 72 ans) qui pratiquent ce sport depuis peu de temps ou depuis des décennies. Julie s’estime très chanceuse d’avoir un panel aussi large et aussi éloquent à l’écran. Des femmes de tous âges et de différents milieux. Cela dit, elle précise que le tournage, lui, a été des plus compliqués, car lors de la chasse en forêt, il ne faut pas faire de bruit, ne pas avoir d’odeur, même pour les caméras. Le film a été tourné en Abitibi, en Outaouais et non loin de Drummondville, région d’origine de la documentariste.

Si son documentaire démystifie la chasse et démontre qu’elle n’est point réservée qu’aux hommes, il évite aussi de faire l’apologie des armes à feu ou de tomber dans le cliché du voyage qui vire en beuverie entre copains. « Mon film est axé sur les émotions, sur la façon dont il faut comprendre l’univers des chasseurs. C’est un documentaire universel avec un propos féministe, mais qui intéressera plein de monde », de souligner Julie. Le milieu dépeint dans Un film de chasse de filles est donc très loin de celui de La Bête lumineuse de Pierre Perrault, un modèle qui tend à disparaître d’après la réalisatrice car la Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs a fait un gros travail de sensibilisation sur la sécurité face aux armes à feu et sur le sérieux de ce sport qui sert aussi à nourrir ses adeptes. « C’était important pour moi de faire un film avec des gens qui chassent pour manger » d’ajouter l’artiste longtemps associée à Kinomada et au centre de diffusion L’Établi, rue Saint-Vallier.

En conclusion, Julie Lambert s’estime chanceuse d’avoir obtenu rapidement du financement, d’avoir trouvé des personnages à la hauteur de ses attentes et d’avoir vécu des voyages de chasse avec ces dernières qui se sont avérés instructifs et qui permettront aux spectateurs de réfléchir sur la chasse, de vivre un tel voyage à travers son documentaire et de s’apercevoir que ce sport n’est plus une chasse gardée masculine. Un film de chasse de filles : un film de chance, un film de filles, un film à voir!

Un film de chasse de filles prendra l’affiche à Québec à l’automne après sa présentation dans les festivals et avant, de par son sujet, une essentielle tournée dans plusieurs régions.

Site officiel du film : http://unfilmdechassedefilles.com/