Films québécois en rafale

xMaxime_elie_Le_Fran_ais_-_Martin_Dubreuil_Evelyne_Brochu_Augustin_Legrand.jpg.pagespeed.ic.XBsEvCsSfC

Les Loups, réalisé par Sophie Deraspe

Lorsqu’on examine attentivement le calendrier des sorties en salle, on peut facilement conclure qu’on surnage dans les productions québécoises actuellement. Même les événements autour de notre cinéma en février et mars sont nombreux : 17e Soirée des Jutra le 15 mars prochain, les Rendez-vous du cinéma québécois, Regard sur le court métrage au Saguenay, etc.

Bref, des longs métrages québécois de fiction, bon an mal an, il y en a 35 qui sont distribués en salle. Ces films sortent durant les mois de février, mars et avril; puis, après une pause estivale, on lance le reste de notre production en septembre, octobre et novembre. Six mois sont disponibles pour lancer 35 longs métrages. Vendredi passé, Elephant Song de Charles Binamé, mettant en vedette Xavier Dolan, et Le Scaphandrier, un film de zombies d’Alain Vézina, ont pris l’affiche en même temps. Vendredi prochain, ce sera le tour de la plus récente réalisation de Sophie Deraspe, Les Loups, de l’adaptation du roman d’Amélie Nothomb Tokyo fiancée, avec Julie Le Breton, et d’Autrui signé Micheline Lanctôt. Suivront en mars Chorus, Gurov & Anna et La Passion d’Augustine, puis en avril, Noir, Corbo et le second volet des aventures d’Aurélie Laflamme. Tout ça, bien sûr, sans compter sur les lancements de quelques documentaires et sur le nouveau François Girard tourné aux États-Unis, Boychoir, qui sortiront tous également durant cette même période de huit semaines.poster_110

Loin de moi l’idée de dire qu’il y a trop de films québécois en salle. La réalité, d’ailleurs, c’est qu’ils sont plutôt noyés par la marée de films américains monopolisant nos écrans. Mais, il est cependant intéressant de constater, sans étude exhaustive, que la distribution de nos longs métrages gagnerait à être mieux répartie tout au long de l’année, histoire d’éviter toute cannibalisation possible. Et ce, même si souvent, deux productions québécoises sortant simultanément, ne se destinent pas au même public. Elephant Song et Le Scaphandrier en sont de beaux exemples. La visibilité totale d’un film québécois et sa campagne publicitaire peuvent cependant souffrir d’avoir un concurrent de la même origine; l’espace donné par les médias écrits et électroniques pour notre cinéma étant restreint.

Il faudrait donc miser sur des sorties échelonnées sur douze mois et non sur six. Par exemple, pourquoi bouder la saison estivale? Hormis les réalisations de Ricardo Trogi et les comédies très grand public, nos films sont totalement absents du calendrier de l’été, de mai à août. Pourtant, si des personnes veulent voir autre chose que « Transformers 9 », l’occasion serait idéale pour eux de se rabattre avec plaisir et curiosité sur du cinéma québécois plus intime, plus audacieux ou plus rapproché de leur réalité culturelle.

La réflexion serait souhaitable de la part des distributeurs, qui, aux yeux du grand public, pourraient paraître frileux. D’ici à ce que la situation change, faites vos choix entre les plus récentes œuvres de Léa Pool, François Girard, François Delisle, Rafaël Ouellet et Cie. Ils sortiront parfois trop discrètement dans les prochaine semaines. Et passons le mot! Car bien que nombreux, ces films, bons ou mauvais, n’ont pas la visibilité et le budget publicitaire de nos voisins du Sud. Ce serait dommage de passer à côté simplement parce qu’on ignore qu’ils prennent l’affiche, et ce, les uns à la suite des autres dans une possible indifférence. C’est là la nature même du combat qui se joue dans nos salles présentement.

1502425_1508360289411027_8110416289059311086_o

 

Un cinéaste aux 3 coeurs

3-coeurs-de-benoit-jacquot

Charlotte Gainsbourg et Benoît Poelvoorde dans 3 Cœurs

Poussé par une campagne de promotion titanesque, 50 Shades of Grey vient de prendre l’affiche la fin de semaine de la Saint-Valentin. Au même moment, plus discrètement, un autre film sur la rencontre amoureuse atterrit aussi sur nos écrans, soit 3 Cœurs réalisé par le Français Benoît Jacquot. Le cinéaste, rencontré récemment à Paris à l’occasion de la promotion entourant la sortie de son long métrage au Québec, a un parcours très particulier, alternant les projets intimistes, les films d’époque et les drames conjugaux contemporains. Si son nom n’est pas le plus connu parmi les réalisateurs de l’Hexagone, ses œuvres, elles, finissent presque toujours par être distribuées dans nos salles, appuyées par des critiques élogieuses.

2012-02-09-9440-0353_Benoit_Jacquot_IMG_x900

Benoît Jacquot, réalisateur

Jacquot, âgé de 68 ans, a tourné son premier long métrage en 1975;  depuis, ses réalisations dont Sade, Villa Amalia et Les Adieux à la reine ont fait le tour du monde, rassemblant un petit public de fidèles, adeptes de sa démarche d’auteur qui aime beaucoup placer la femme au centre de ses récits. Pour 3 Cœurs, son 21e film, il a choisi de mettre un homme au cœur de son histoire, un personnage écartelé entre deux femmes qui sont aussi sœurs, un être tiraillé par l’amour joué dans un contre-emploi par le Belge Benoît Poelvoorde.

En entrevue, Jacquot avoue qu’il avait envie depuis longtemps de travailler avec Poelvoorde,  précisant que l’acteur s’engage toujours intensément dans un film, aussi bien physiquement que psychologiquement. Était-il à même de bien contrôler cet acteur reconnu pour ses excès? « Benoît, c’est effectivement un comédien dangereux pour lui-même et pour les autres. C’est comme un dément, un fou qui se livre à son délire devant la caméra. Dès lors, son metteur en scène devient un peu son psychiatre », répondra le réalisateur l’œil moqueur. « Au-delà de la personnalité de Benoît, le défi avec ce film, c’était de réunir au tournage Poelvoorde, Gainsbourg, Mastroianni et Deneuve, car leurs agendas ne sont pas simples. Mais eux, ils se réjouissaient vraiment d’être réunis dans ce projet. La connivence a été immédiate », de dire Jacquot.

Avec 3 Cœurs, Benoît Jacquot ne voulait pas refaire un film d’époque avec un éclairage à la chandelle, mais bien un film qui parle de ce qui se passe maintenant et où les malentendus prennent des formes contemporaines, avec un personnage central 012839 masculin. « Ce qui me passionne, ce sont les malentendus entre les gens, dans l’amour, l’amitié, encore plus aujourd’hui alors que nos moyens de communication sont censés nous aider. Moi, je crois, au contraire, qu’ils accentuent nos problèmes à bien communiquer, à bien se comprendre ».

Quand on lui souligne sa propension à diriger des actrices plutôt que l’inverse, il précise : « Filmer principalement un homme plutôt qu’une femme a sûrement modifié ma mise en scène. Je ne m’approche jamais d’un acteur masculin comme je m’approche d’une actrice. Ce n’est pas le même vœu de séduction. On est toujours un peu amoureux de son actrice. Pour un type comme moi en tout cas ! Avec un comédien, c’est plus affectueux, amical, ça relève davantage de la complicité, donc l’approche est très différente. Mais vous savez, les acteurs aussi veulent séduire les metteurs en scène. Le cinéma, ça fonctionne au charme, pour les acteurs et pour les actrices, et toujours dans ce lien unique développé avec celui qui se trouve derrière la caméra. Mais mon érotisme personnel, disons, ne me met pas dans le même état quand je filme une actrice ou un acteur ».

Benoît Jacquot continue de tourner à un rythme effréné. Il présentait récemment à Berlin Le Journal d’une femme de chambre, sa plus récente réalisation dont la sortie est prévue au Québec en avril prochain. Léa Seydoux interprète le rôle principal dans cette version du roman d’Octave Mirbeau déjà transposée au cinéma par Bunuel avec Jeanne Moreau, en 1964. Quand on lui fait remarquer qu’il ne semble prendre aucune pause entre deux tournages, passionné, Benoît Jacquot conclut l’entretien par cette phrase: « Les vacances pour moi, ça incarne le vide, et pour moi le vide, c’est un gouffre ».

Les frais de voyage ont été payés par UniFrance.

Samba, la danse des sans-papiers

Samba-1280X640

 

Lancé en 2011, Intouchables (avec Omar Sy et François Cluzet) est devenu le deuxième plus grand succès de l’histoire du cinéma en France derrière Bienvenue chez les Ch’tis. Le film a été vu sur grand écran par presque 20 millions de Français, et battant aussi Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain comme production française la plus vue à l’étranger.

Le tandem de réalisateurs derrière Intouchables, Olivier Nakache et Éric Toledano, lançait l’automne dernier leur très attendu nouveau film intitulée Samba. Si cette nouvelle collaboration, leur cinquième, joue de nouveau le jeu de la comédie, elle flirte aussi avec les codes du drame socialement engagé, mais avec comme toile de fond une romance, qui, elle est aussi drôle que touchante. Le long métrage raconte le parcours d’un immigrant (Omar Sy) cherchant à faire régulariser sa situation qui tombe amoureux d’Alice (Charlotte Gainsbourg), une travailleuse chargée de lui venir en aide. Du même coup, il se liera d’amitié  avec l’iconoclaste Wilson (Tahar Rahim) avec lequel il partagera des petits boulots parfois ingrats, mal rémunérés et bien souvent réservés aux étrangers sans papiers.

Samba2

Toledano, Sy, Rahim et Nakache

Rencontré à Paris pour la promotion de la sortie québécoise de Samba, le coréalisateur Olivier Nakache avouait qu’il aurait été facile pour les cinéastes de se laisser tenter et de faire un Intouchables prise 2. À juste titre, le risque de décevoir ou de se répéter en prenant cette direction aurait été grand et hasardeux, mais, surtout, le désir d’aller voir ailleurs était plus fort que tout pour le duo. « Nous voulions aborder l’univers des immigrants illégaux en France, mais pas seulement à travers la comédie. Surprendre le public et leur faire découvrir un univers trop peu connu des Français. Omar Sy, lui, il a sauté avec nous dans l’aventure et nous a fait totalement confiance. Faut dire qu’entre nous trois, c’est l’osmose parfaite », de préciser Nakache.

Basé sur un roman (Samba pour la France) de Delphine Coulin, plus sombre que le film qui en découle, Samba selon Olivier Nakache bénéficie du cocktail drame-comédie-romance en rendant tout le contexte social plus fort à l’écran. « Le danger, c’était de faire de ce milieu une caricature, c’est un sujet trop complexe et émotionnel pour dire n’importe quoi. Alors on a fait très attention, nos recherches ont été longues, et ce, afin d’être respectueux de la réalité de ces gens, de ces immigrants illégaux qui vivent d’espoir, mais avec la peur au quotidien d’être renvoyés dans leur pays d’origine. En même temps, leur milieu de vie, personnel, ou au travail, et celui des gens qui les aident sont vraiment propices à la comédie. Ce sont des lieux où les cultures se mélangent et c’est très inspirant ». À ce titre, la scène où Samba quitte le centre de détention avec l’ordre de retourner dans son pays et que ce même centre soit situé à quelques centaines de mètres de l’Aéroport Charles-de-Gaulle peut sembler surréaliste, mais elle est des plus véridiques.

La fin de cette discussion avec Olivier Nakache bifurquera avec raison sur les événements tragiques survenus à Paris et reliés aux caricatures de Charlie Hebdo contre l’Islam. Lassana Bathily, le héros malien du supermarché casher qui avait aidé des clients juifs à se cacher du djihadiste Amedy Coulibaly s’est vu accorder la naturalisation par les autorités françaises en guise de reconnaissance pour son acte de bravoure. Bathily, comme Samba, était un étranger en situation irrégulière. Le réalisateur y voit une belle coïncidence. «Oui, l’histoire de Bathily serait un formidable sujet de film. De plus, pour moi, tout ça aide à comprendre que les sans-papiers, ce ne sont pas eux les terroristes. Les terroristes, c’étaient des Français, nés en France. Les sans-papiers, eux, ils sont trop occupés à survivre, ils bossent sans arrêt et, comme Bathily, ils sont bien souvent très ouverts sur le monde! »