Houellebecq et son alter ego

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Depuis un an, Michel Houellebecq semble être partout; en librairie et dans les médias, notamment parce que son nouveau roman Soumission est paru avec fracas en janvier, mais aussi parce qu’il a fait l’acteur à deux reprises dans des films qui sont sortis sur grand écran en France. En fait, l’auteur de La Possibilité d’une île, déjà remarqué au Festival d’été de Québec après avoir lancé en 2000 un album de chansons, s’est retrouvé dans Near Death Experience, de Kervern et Delépine, jouant un homme en burnout, obsédé par des pensées suicidaires qui décide de fuir vers les montagnes. Puis, on l’a vu dans L’Enlèvement de Michel Houellebecq, jouant son propre rôle dans cette œuvre iconoclaste qui prendra l’affiche vendredi à Québec et Montréal.

a634cc62f3087ccf02b73a278052af2dLe titre de ce dernier long métrage rappelle les rumeurs portées par les médias voilà quelques années au sujet de la disparition de Houellebecq et d’un possible enlèvement. Étrangement quand on rencontre Guillaume Nicloux (Cette femme-là, La Clef), réalisateur du film, on est étonné de voir la ressemblance frappante avec l’auteur des Particules élémentaires; une ressemblance autant physique que dans le phrasé lent et posé qui caractérise si bien l’écrivain. « En termes de temporalité, on prend du temps, Michel et moi, pour réfléchir », de commenter passivement Nicloux lorsqu’on lui fait la remarque.

Cela dit, son film raconte simplement, et par l’absurdité, le kidnapping de Houellebecq qui se retrouve dans une maison de campagne avec ses ravisseurs. Au menu, dialogues surréalistes, fumage de clopes, briquets défectueux et tergiversations intellectuelles autour de H.P. Lovecraft dont Houellebecq avait écrit la biographie avant d’être reconnu comme romancier. Il fallait un certain culot pour mettre en scène l’auteur dans son propre rôle. « Michel a rapidement marqué son intérêt pour participer à l’aventure. Il a validé l’ensemble du projet sans pour autant intervenir dans la construction même du récit. Je pense que Michel était intéressé à mon film à cause de l’énorme rapport charnel qui s’installe entre les personnages, et ce, même si les dialogues ont une place prépondérantes dans l’ensemble », de préciser Nicloux.

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Guillaume Nicloux, réalisateur

Début 2015, Houellebecq a soulevé la controverse avec Soumission, roman dans lequel il relate la victoire électorale d’un parti politique de confession musulmane en France. Il y a lieu de se demander si le film serait différent s’il était refait aujourd’hui compte tenu de tout le charivari provoqué par le lancement du livre qui a coïncidé avec l’attentat contre Charlie Hebdo? Là-dessus, Guillaume Nicloux se permet ce commentaire qui semble émaner d’un humanoïde passif plutôt que d’un cinéaste terrien : « Je suis incapable de penser en ces termes. Ce qui est fait est fait. Je suis incapable de me projeter dans quelque chose qui serait à refaire, mon cerveau n’est pas fait pour ça ». Puis dans une tirade houellebecquienne il ajoute : « J’ai une relation très endeuillée avec mes films. Je ne les revois jamais. Je n’ai aucune nostalgie envers mes films, que des regrets ».

Nicloux, intellectuel posé et créateur pensif, terminera cette entrevue parisienne en donnant quelques détails sur le nouveau film qu’il vient d’achever et qui porte sur un couple qui a perdu son enfant. À sa mort, le jeune homme leur a laissé une lettre leur demandant de se retrouver, ensemble, dans la vallée de la Mort, aux États-Unis. Ce couple, séparé depuis longtemps et frappé par la douleur de cette perte récente, s’y rendra afin de s’y recueillir. Isabelle Huppert et Gérard Depardieu jouent les parents. Ce fut un tournage très troublant. Gérard a fait un travail d’introspection dans le film à cause de la perte douloureuse de son propre fils, Guillaume », de conclure le frêle réalisateur qui pourrait voir son long métrage en compétition à Cannes en mai prochain.

Les frais de ce voyage ont été payés par UniFrance.