Coralie fait son nid

Revenge, réalisé par Coralie Fargeat.

En voyage à Paris récemment pour une série d’entrevues promotionnelles consacrées aux  films français qui prendront l’affiche ici dans les prochains mois, j’ai eu l’occasion de croiser les cinéastes membres du jury de MyFrenchFilmFestival 2019 dont faisaient partie entre autres le Québécois Kim Nguyen (Rebelle) et le Belge Jaco Van Dormael (Toto le Héros). Au sein du jury se trouvait également Coralie Fargeat, réalisatrice et scénariste âgée de 42 ans qui s’est fait remarquer en 2018 avec la sortie de son premier long métrage, une œuvre féministe sanglante et glaçante titrée Revenge. Son film (sorti en salle à Montréal en 2018) a surpris bien des gens et s’est retrouvé dans la plupart des palmarès de fin d’année consacrés aux longs métrages d’horreur et fantastiques. La cinéaste détonne présentement dans le cinéma de genre, véritable chasse gardée masculine. Voici un résumé de ma rencontre avec une artiste aussi passionnée qu’affirmée et dont il faudra surveiller les prochains projets.

Le Clap : Les films de genre, voire d’horreur français, sont assez rares et ceux réalisés par des femmes le sont encore plus. Il y a eu Grave de Julia Ducournau voilà deux ans et maintenant Revenge que vous venez de signer, deux œuvres très gores. C’est difficile d’arriver à concrétiser ce genre de projets marginaux.

Grave réalisé par Julia Ducournau.

Coralie Fargeat : Oui, effectivement, car l’industrie a une drôle de relation avec ce genre. Les portes ne s’ouvrent pas facilement. Mais là, je sens qu’on surfe sur une belle vague. Le film de genre connaît du succès et ça a été le cas de Revenge et de Grave qui ont tous deux très bien marché à l’international. J’ai profité de l’élan donné par le film de Julie et je sens qu’en France, l’envie de faire ce genre de cinéma, comme aussi La Nuit a dévoré le monde, est réel. Le CNC, l’organisme qui finance nos films, a récemment mis en place une aide financière pour soutenir le genre, ce qui est très bien. Mais encore faut-il que l’institution comprenne cet univers. Ils aiment qu’il y ait une signature d’auteur rattachée à une œuvre. Je comprends l’idée même si, moi, j’aime bien les films moins intellectuels comme ceux de John Carpenter. C’est dans cette lignée que ça devient délicat pour obtenir de l’aide financière. L’arrivée des nouvelles plateformes nous donne aussi un bon coup de main, car les films de genre sont très recherchés dans ce milieu.

LC : L’avenir d’œuvres singulières, violentes, cathartiques, fantastiques, passe-t-il justement par la cohabitation entre les salles de cinéma d’auteur et les plateformes numériques plus nichées?

Coralie Fargeat, réalisatrice.

CF : Absolument. Revenge est sorti en salle, mais dans l’ensemble, les propriétaires de salles sont frileux face à ce type d’histoires. Aux États-Unis, on a battu des records pour les locations en vidéo sur demande, c’est dire qu’il y a un marché pour ça. Ça augmente la durée de vie de notre film.  Mais une sortie uniquement aux plateformes ce n’est pas l’idéal, car ça coupe les rencontres avec la presse lors d’un festival, ça coupe toute l’interaction avec le public regroupé pour voir un film en même temps dans un même lieu. Pour moi, les projections en salle sont encore vitales sinon le film est vite digéré et vite oublié parmi une marre de longs métrages produits en série. Je prône une réelle cohabitation entre la sortie en salle et la sortie numérique et pour les films de genre, c’est d’autant plus vrai et qu’essentiel.

LC : Avez-vous senti qu’en tant que femme qui flirte avec l’horreur, sans pudeur, vous étiez un peu vu comme une intruse?

Near Dark de Kathryn Bigelow.

CF : Oui. On le remarque, car c’est encore inhabituel. Ça l’est encore dans le milieu du cinéma en général hélas. L’horreur lui, est un genre historiquement plus masculin. Hormis Kathryn Bigelow (Near Dark), je n’avais pas vraiment de modèles, mais en même temps, ça m’a permis de me faire remarquer, de me distinguer. Cela dit, regardons les Oscars et on voit encore une fois cette année que les choses évoluent très, très lentement pour les femmes.

LC : Revenge vous a fait connaître et là, inévitablement, on va s’attendre à un autre film du même type de votre part. Ça crée une pression pour votre prochaine réalisation?

CF : C’est une bonne question. Vers où dois-je aller pour mon deuxième film? C’est très difficile, car il y a des attentes et on y réfléchit beaucoup. La seule règle que je me donne, c’est de suivre mes envies profondes. Revenge est un film avec des qualités et des défauts, mais c’est aussi un long métrage vivant, énergique, avec une âme. C’est ça que j’ai encore envie de faire, avec le même élan et possiblement toujours tourné vers l’horreur et le fantastique.

Revenge est présentement disponible ici en DVD ou en VSD.