De grandes attentes pour La Petite Reine.

Alors qu’on s’interroge sur la baisse de revenus des films québécois en salle depuis le début de l’année (voire quelques années…), les espoirs « commerciaux » de notre cinéma cet été sont dirigés vers trois longs métrages censés attirer les foules : 1987 (Ricardo Trogi), Le Vrai du faux (Émile Gaudreault), La Petite Reine (Alexis Durand-Brault). Le premier à prendre l’affiche, La Petite Reine, arrivera sur nos écrans vendredi prochain, le 13 juin. Un vendredi 13 qui, espère-t-on, malgré la symbolique, n’attirera pas la malchance et attisera l’intérêt du grand public pour ce drame sportif inspirée de la vie de la cycliste québécoise Geneviève Jeanson.

Pour avoir vu le film en avant-première, j’ai aussi bon espoir que La Petite Reine suscite un réel intérêt chez les amateurs de cinéma en général. La réalisation est alerte, la production élégante et la distribution au diapason d’un scénario relevé, qui sans bavure ni excès de sentimentalisme, fait état du milieu vicié dans lequel évoluait Julie, jouée par Laurence Lebœuf. Si le scandale du dopage mis en images dans La Petite Reine n’a pas, bien sûr, l’ampleur de celui impliquant Lance Armstrong, il est malgré tout évocateur de la problématique pour le milieu sportif en général. La réussite du film est réelle et repose, selon moi, sur deux facteurs. Le premier, la mise en scène qui témoigne de l’effet anxiogène provoqué par l’entourage de la coureuse. La cycliste est écrasée par le poids du succès, des attentes du public, de sa famille, de l’argent investi sur son nom et par son propre orgueil. Le second facteur réfère à la qualité des principaux  interprètes offrant tour à tour des performances qui seront à coup sûr soulignées lors de la prochaine Soirée des prix Jutra. Laurence Lebœuf dégage force et fragilité dans le rôle principal, Patrice Robitaille se démarque en entraîneur lâche et manipulateur, Denis Bouchard et Josée Deschênes sont des parents volontairement naïfs et ambitieux, René-Daniel Dubois joue un médecin sans scrupules et Jeff Boudreault incarne un commanditaire fier et avide. Avec crédibilité et talent, ils contribuent au grand écran à rendre l’univers du vélo de compétition aussi cruel qu’hypocrite lorsque le scandale éclate.  Reine3

La semaine dernière, l’équipe de La Petite Reine était de passage à Québec pour en faire la promotion. Le réalisateur, Alexis Durand-Brault, n’était pas peu fier de son troisième film après Ma Fille, mon ange et Everywhere, deux œuvres qui relevaient davantage de la commande d’après lui. Il évoque d’emblée que son nouveau long métrage n’a pas été réalisé sous la supervision d’avocats malgré l’inspiration première, le scandale du dopage entraînant la chute de son étoile filante, Geneviève Jeanson. Le but du film, toujours selon le cinéaste : comprendre pourquoi une athlète en vient à se doper, comprendre comment Julie, alter ego de Jeanson, a vécu cette réalité sportive, cette vie de tension au quotidien entre les entraînements, les courses et les commandites?

Durand-Brault n’a que des éloges pour sa distribution. Pour Laurence Lebœuf, émotive et énergique, parfaite pour le rôle et Patrice Robitaille qu’il qualifie d’acteur « le plus game », celui qui plonge sans chercher à être beau ou bien paraître. Au sujet de la pression entourant la sortie du film et les attentes commerciales qui lui sont attribuées, il ajoute : « J’ai peur! Vraiment. Je suis assez inquiet pour la culture au Québec, j’ai peur d’avoir perdu le public ». Pour contrer cette appréhension, il souligne avoir fait un film populaire, ni trop noir ni à saveur commerciale, à la manière d’un Claude Sautet ou d’un Brian de Palma. Un film aussi personnel que rassembleur pour lequel il ajoute : « Je ne voulais pas tomber dans le sensationnalisme, je voulais, tout au long du tournage, être juste d’un point de vue émotif ».Reine1

Diablement en forme, Patrice Robitaille, lui, semble prendre plaisir actuellement à faire partie d’une course contre la montre dans sa vie personnelle et professionnelle. Il est devenu père d’un deuxième enfant voilà quelques semaines à peine et s’implique dans la coordination de travaux de construction des locaux professionnels de sa conjointe. Il répète au théâtre le rôle de sa vie, Cyrano de Bergerac, sous la direction de Serge Denoncourt tout en assurant la promotion de La Petite Reine. Au sujet de son rôle d’entraîneur dans le film, il précise: « Mon personnage est chien pis en plus, au niveau physique, j’ai l’air d’un monstre à côté de Laurence qui est minuscule. L’entraîneur n’est jamais là quand c’est vraiment chaud, sauf quand il est seul avec elle et qu’il peut la contrôler. Mais en même temps, le personnage de Julie n’est pas sans tort. Pour moi, c’est des partners in crime. Julie carburait au succès et était incapable de dire non. Surtout qu’il y avait la province qui la suivait, les commanditaires, la fédération québécoise».  Et quand on lui rappelle à quel point le succès du film semble important pour l’industrie, il dit : « Je suis conscient de tout ça, mais le débat autour de la rentabilité du cinéma québécois m’énerve un peu. Je suis d’accord avec Xavier Dolan qui disait récemment ne pas faire de distinction entre le cinéma commercial et le cinéma d’auteur. Qu’un film marche ou non, en bout de ligne, il n’y a que de bons et de mauvais films. Le snobisme dans l’art me tombe sur les nerfs. Pis les gens, j’en suis sûr, ils vont aimer La Petite Reine parce que c’est un bon film, that’s it ».

On peut donner raison à l’acteur. Rien ne sert de discourir longtemps sur La Petite Reine en tant que film d’auteur ou en tant qu’œuvre qui fait la lumière une fois pour toutes sur le dopage sportif. Il faut surtout se rappeler l’effet immédiat du film une fois vu, d’avoir été happé par l’histoire à cause du brio des comédiens et d’y avoir cru. D’être retombé en enfance en se faisant raconter une histoire, sombre, dramatique et aussi québécoise qu’universelle. De belles qualités d’ensemble qui pourraient inciter bien des gens à aller voir le long métrage. Même si le fil d’arrivée du box-office est encore loin, de nombreux artisans du cinéma québécois (propriétaires de salles, producteurs, cinéastes et comédiens) se retrouveront vendredi sur la même ligne de départ, fébriles et optimistes. On ne peut leur en vouloir.