Sortir du rang sous les étoiles

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Trois films québécois ont pris l’affiche vendredi passé : le documentaire La Démolition familiale, et deux fictions, Le Rang du lion et Mobile étoile. Le réalisateur du Rang du lion, Stéphane Beaudoin, ainsi que l’acteur Luc Picard, qui joue dans Mobile étoile, se prêtaient au jeu de la promotion de leurs films la semaine dernière. Voici un résumé de leurs propos. Veuillez noter que l’entrevue avec Luc Picard a été réalisée et retranscrite par Camille Arteau-Leclerc, stagiaire en journalisme.

Stéphane Beaudoin ne manque pas de travail, réalisant de nombreuses séries télévisées et bossant en même temps sur plusieurs projets de films. Son premier long métrage, Le Rang du lion, coscénarisé avec sa conjointe Sophie-Anne Beaudry, a été réalisé sur une période de près de quatre ans. Hormis Sébastien Delorme, tous les comédiens du film en étaient à leurs premiers pas cinématographiques, une volonté de la part du réalisateur qui tenait à nous faire découvrir de nouveaux visages tout en rendant anonyme ses personnages. Le film relate le parcours d’un jeune 12764319_1019731271439993_1541756119073888193_ohomme (Frédéric Lemay) en manque de repères et qui, par amour pour une femme, décide de s’intégrer à un groupe dont le leader (Sébastien Delorme) enseigne des principes de croissance personnelle à l’aide de méthodes plutôt inquiétantes. L’ensemble se base sur la théorie du surhomme de Nietzsche, un auteur dont les théories ont marqué la coscénariste du Rang du lion lors de ses études universitaires.

Un long métrage avec un tel sujet peut facilement tomber dans le ridicule. Il était donc fort important que le pseudo-gourou démontre de façon crédible toute son ascendance sur les membres de sa petite secte. « La ligne est mince, on ne voulait pas baser tout ça sur la religion, mais bien sur une idéologie forte et pernicieuse », de dire le cinéaste. Il ajoute : « On a pris le temps sur le plateau de bien faire les choses, de rester dans l’émotion et pas uniquement dans la psychologie. En même temps, on n’avait pas beaucoup de marge de manœuvre, car le film a été tourné en onze jours. La maison de campagne est au cœur du récit. Toute l’action s’y déroule. Ajouté à l’absence de technologie dans le film, pas de télé, pas d’internet, tout ça nous ramène un peu à l’esprit des années 70, à la quête de soi, aux communes de cette époque souvent basées sur diverses thérapies très reliées à la nature. Ça attirait des gens qui voulait se détacher de leur quotidien ».

Le Rang du lion est un huis clos qui tire sa force d’un scénario habile et de la qualité du jeu de ses interprètes principaux. Actuellement, Stéphane Beaudoin se penche déjà sur l’écriture de son troisième long métrage, lui qui tournait l’automne passé à Drummondville son second, Yankee, un film se déroulant dans un fight club et avec comme personnage principal une jeune fille de dix-neuf ans prise dans cet univers violent.

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Géraldine Pailhas et Luc Picard dans Mobile étoile

Luc Picard était de passage à Québec récemment pour faire la promotion du film Mobile Étoile réalisé par le Franco-Israélien Raphaël Nadjari. Dans ce film québécois, coproduit avec la France, et auparavant nommé Yzkor, l’acteur québécois tient l’un des rôles principaux : celui de Daniel Dussault. Aux côtés de Géraldine Pailhas et Éléonore Lagacé, Picard interprète un pianiste au sein d’un petit ensemble vocal qui essaie de survivre au manque de financement dans le domaine des arts. Voici ce qu’il avait à répondre au sujet du film et de la pratique de son métier en général :

Camille Arteau-Leclerc : Le film traite entre autres du manque de financement dans le milieu des arts, ce qui est très d’actualité au Québec. D’après vous, ce manque de financement a eu quelles conséquences sur le milieu artistique québécois ces dernières années ?

Luc Picard : Il y a tellement de places où l’on peut voir les conséquences de ça. Bon, déjà Radio-Canada qui devra déménager et ensuite nous, les acteurs, dans notre façon de travailler. Quand je faisais une série avant, on tournait sept ou huit scènes dans une journée. Maintenant, c’est 24 scènes. Donc, on ne fait qu’une prise au final pour une scène. Quand quelqu’un me dit que je suis bon ou pas bon dans une série,  je ne sais pas quoi répondre. Moi, j’ai une prise, donc je fais ce que je peux et 111671.jpg-c_215_290_x-f_jpg-q_x-xxyxxaprès je m’en vais me changer le plus rapidement possible. Les coupures, c’est partout, au théâtre et au cinéma aussi. La culture, c’est le ciment de la société. C’est vraiment le ciment de la société. C’est là où l’on se dit ensemble, voici ce que l’on pense, ce que l’on est ensemble. Et là, on se reconnaît tous ou on ne se reconnaît pas là-dedans, mais c’est fondamental dans l’identité d’une nation. Donc, c’est grave. Je trouve ça très grave.

C.A.-L. : Vous avez réalisé quelques films dans le passé. En quoi votre expérience en tant que réalisateur affecte-t-elle ou modifie-t-elle la façon dont vous abordez vos rôles désormais?

L.P. : Je suis plus docile que je ne l’étais! Je comprends plus ce que la personne en face de moi a sur les épaules. Avant, j’étais vraiment impitoyable! Non, non, je n’étais pas impitoyable (rires) … Ça m’a toujours intéressé la réalisation. Pas autant que le jeu, mais ça m’intéresse quand même. Donc, j’ai toujours été observateur de tout ce qui se passe sur les plateaux quand je joue. Mais tant que tu ne l’as pas vécu toi-même, tant que tu n’as pas eu cette charge-là sur les épaules, ben tu ne peux pas savoir c’est quoi. À partir du moment où je l’ai fait, il y a deux choses que j’ai réalisées. Premièrement, comme je sais c’est quoi, je respecte plus la bulle de la personne qui réalise. Autre chose, comme je suis un réalisateur et je ne veux pas être perçu sur un plateau comme étant un réalisateur, je me mêle vraiment pas trop de ces trucs-là…moins qu’avant ! Je suis plus pudique qu’avant.

C.A.-L. : Luc Picard nous a aussi glissé un mot sur son rôle de pianiste dans le film, alors qu’il n’est pas musicien dans la vie de tous les jours.

L.P. : C’était très très intimidant. J’ai suivi des cours de piano pendant quelques mois, pas pour apprendre à jouer parce qu’il n’y a personne qui peut devenir pianiste classique en l’espace de quelques mois, mais pour apprendre le positionnement. J’ai donc travaillé avec des musiciens. J’ai eu l’aide de Natalie [Natalie Choquette est conseillère musicale pour le film], de Raphaël [le réalisateur]. Mais j’étais très intimidé. Au départ, je suis intimidé par les gens qui maîtrisent un instrument de musique. Quelqu’un prend une guitare et se met à jouer et il y a de la musique, c’est intimidant. Mon fils joue et il m’intimide… Pour vrai! Donc, je me sentais vraiment un imposteur. C’est ça mon métier : être un imposteur, mais être un imposteur sincère.

En bref, Mobile étoile, coproduit par la France et le Québec, vient de prendre l’affiche au Clap. Quant à Luc Picard, on peut aussi le voir en shylock crapuleux dans le nouveau film du réalisateur Louis Bélanger intitulé Les Mauvaises Herbes.