Ciné-Psy hors série (L’Amant double de François Ozon) collaboration spéciale Marcel Gaumond

Rencontre exceptionnelle du Ciné-psy*

Lors de la « première » du film L’AMANT DOUBLE de François Ozon, le 22 novembre à 19 h 15

*Cette rencontre, animée par Marcel Gaumond, psychanalyste, prendra la forme d’une période de « questions et réponses » d’une durée de 30 minutes, après le visionnement du film.

Si l’on a maintes fois associé l’œuvre littéraire de Marcel Proust à la psychanalyse, quête de soi qui emprunte le chemin d’une enquête (cf. : À la recherche du temps perdu), je proposerais d’associer l’œuvre cinématographique de François Ozon à ce même mode typique de navigation intérieure qu’implique la traversée analytique entre le monde du conscient et celui de l’inconscient.

L’AMANT DOUBLE est le cinquième film d’Ozon que la direction du Clap m’a proposé de commenter, au fil des ans. Plus encore – si toutefois la chose est possible (!) – que dans les films de Woody Allen, on trouve dans les films d’Ozon l’équivalent sous forme d’images des principales notions qui structurent et émaillent le langage psychanalytique :  désir, fantasme, rêve, déni, deuil, résistance, fusion, séparation, refoulement, bloquage, symptôme, symbole, pulsion, séduction, complexe, blessure narcissique, hallucination, projection, dissociation, conflit, transfert et contre-transfert, volonté de puissance, mensonge, ombre, intégration, vérité, estime de soi, transformation et j’en passe. Et cette fois, dans L’AMANT DOUBLE, Ozon se surpasse!

Comme en témoignent les extraits suivants de mes textes de la chronique du Ciné-psy portant sur les quatre précédents films d’Ozon que j’ai commentés, dans des histoires différentes, les mêmes dynamiques de fond, les mêmes souffrances, les mêmes conflits et les mêmes défis hantent l’âme obscure des personnages que le cinéaste propulse de façon magistrale sur l’écran. Peut-être aurons-nous l’occasion de nous parler de tout cela, le soir de la « première » de L’AMANT DOUBLE.

 

Gouttes d’eau sur pierres brûlantes (2000)

Avec comme titre de mon texte « Le frère d’Éros » qui prend nom d’Antéros /l’Amour contraire [on pense ici à Paul et à son frère Louis, qui dans L’AMANT DOUBLE sont tous deux psychanalystes] dans la mythologie grecque, je relève les passages suivants…

« S’il n’y avait pas cette immense souffrance, cette désolation profonde, ce désarroi, cette solitude extrême, ce cri effrayant en provenance du ventre, cette misère qui, tout à coup, s’empare de l’âme tout entière de la personne qui, touchée dans son sexe, sent qu’elle est déconsidérée, dominée, abusée, on pourrait continuer à rire à l’écoute des histoires de cul. On pourrait continuer de s’en mettre plein les yeux.  On pourrait aussi, pourquoi pas, enfin transgresser tous les tabous stupides qui nous empêchent, au nom de je ne sais quelle loi dite de facture divine, de jouir avec qui l’on veut, quand on veut et où l’on veut. On pourrait, comme dirait mon voisin d’à côté ou d’en dessous, s’éclater. [….]

[Afin de se soustraire à l’inconscience massive d’où procède toute forme d’abus de pouvoir], je propose deux évidences :] 1) Admettre que ce qui est projeté dans les « dieux » forts et tout-puissants de même que dans les « étoiles socioculturelles », plus ou moins brillantes celles-là, demande à être interrogé et compris à partir des racines mêmes de cette projection, c’est-à-dire notre propre réalité dans ses versants psychique et somatique. L’être humain n’a en effet trouvé rien d’autre jusqu’à maintenant comme moyen de libération véritable que le travail sur soi, un travail qui compose avec la limitation (toute relative qu’elle soit) et qui commande une attitude d’humilité (toute prétention étant aveu d’infantile inconscience).

2) Admettre que la relation sexuelle, expression manifeste de l’Éros, est de nature sacrée, tout autant que les autres activités humaines fondamentales (telles, à titre d’exemples, la maternité, la paternité, la solidarité, la justice, etc.). Ne pas reconnaître cela, c’est vouer la sexualité à n’être rien d’autre en définitive qu’une activité de bas étage, qu’un produit de consommation, qu’un simple besoin physiologique à satisfaire, peu importe avec qui et de quelle manière. Stigmatiser la sexualité comme une pulsion qui ne peut pas s’élever au-delà de la ceinture, c’est ignorer qu’Éros est un dieu qui joue un rôle capital dans l’aventure humaine et dans ‘la quête du Soi’ qui caractérise cette aventure. »

 

Sous le sable (2000)

« Notre toile [celle que l’on tisse entre soi et le monde (de l’autre)] est un sac qui enferme vraiment, mais ne comprend qu’illusoirement. Vous savez : ce que l’on veut faire passer, parfois, pour de l’amour, c’est une image de soi, souriante, que l’on peint sur sa propre toile. Un amour maquillage. Mais sous cette image, sous notre masque, se tapit le conflit. Un conflit perpétuel. Notre toile est un bouclier de pacotille qui ne nous protège pas, mais nous dissocie du monde.

[….] Si vous êtes dans une profession [comme c’est le cas de Paul dans L’AMANT DOUBLE] dont la fonction est de réparer les pots cassés, de recoudre les chairs blessées, de recueillir comme dans un vase les plus immenses souffrances, de grâce (!) ne faites pas semblant d’être un grand ou un puissant qui en a vu d’autres, ne cédez pas trop vite à l’invite des avides compagnies pharmaceutiques, soyez patient et réceptif. Sans perdre pour autant la raison, ayez le courage et l’humilité d’être touché et informé par ce que recèle de révélation la bouleversante nudité de l’être dévasté, désarmé, dépouillé. »

 

Dans la maison (2012)

J’ai introduit mon texte de chronique sur ce film par une citation du peintre Paul Klee… « L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible », pour ensuite comparer la sensation que j’ai éprouvée après le visionnement du film à celle dépeinte par l’écrivain Gustave Flaubert à propos des livres qui ont eu le don de nous captiver.

Je cite Flaubert… « On peut juger de la beauté d’un livre, à la vigueur des coups de poing qu’il vous a donnés et à la longueur de temps qu’on met ensuite à en revenir » et commente ensuite les coups de poing reçus… « Pour vous donner une idée des ‘coups de poing’ que j’ai reçus en regardant ce film, je me contenterai d’une brève allusion au nombre de thèmes qui j’ai notés au cours des 98 minutes que dure le film : j’en ai noté – vous ne me croirez pas – près de 80. Mais ne craignez rien, car tout cela défile avec subtilité et finesse, nous laissant plus médusés qu’assommés! »

Pour rendre compte de l’impact du génie cinématographique d’Ozon et de sa complexe mais efficace incursion dans le champ de la psychanalyse, encore ici dans L’AMANT DOUBLE, je pourrais utiliser les mêmes citations!

 

Jeune et jolie (2013)

Sans penser au titre « Le frère d’Éros » que j’avais donné à mon premier texte du Ciné-psy sur un film d’Ozon, j’ai trouvé un titre parent pour mon texte sur le film Jeune et jolie, « Éros est un grand révélateur ». Comme quoi, si l’on fait une rétrospective des films du cinéaste, on peut y découvrir des filons thématiques qui caractérisent son œuvre. Ajoutons à cela le fait que l’héroïne de Jeune et jolie (Marine Vatch) est la même que celle que l’on retrouve dans L’AMANT DOUBLE. Ci-après, des extraits de mon texte du Ciné-psy sur Jeune et jolie

« Isabelle [….] n’a que dix-sept ans et, comme tout adolescent-e de son âge, elle se trouve à mi-chemin entre une enfance relativement modelée par ses parents et un avenir d’adulte qu’il lui appartient maintenant d’orienter suivant son désir, dût-elle pour cela, défoncer des portes, transgresser des interdits et bouleverser autour d’elle un ordre que l’on voudrait à tout prix bien établi.

Son désir, oui! Un désir qui se doit de faire appel à la flèche d’Éros pour atteindre son objectif : conquérir sa place au soleil! Car Isabelle ne vit pas à une époque ni dans un monde où la femme doit se soumettre, se voiler, feindre d’admirer l’autre en-habit-masculin, quelle que soit la maturité ou le charisme de celui-ci. Aussi choisira-t-elle celui qui aura pour elle le mandat secret de la déflorer. Plus tard, sa mère lui dira : « Tu me rappelles que quand tu étais petite, tu rentrais toujours en sang, comme un garçon manqué! »  Cette nuit-là de sa défloraison, Isabelle-en-sang aura le sentiment qu’elle a réussi : la voilà « femme », prête à tout affronter. [….]

Ce que l’on nomme insight (l’eurêka des chercheurs dans le domaine de la vie intérieure!) en psychothérapie ne peut surgir qu’au terme d’un long et patient travail sur soi, un travail qui ne peut faire l’économie d’obstacles à première vue insurmontables, de souffrances éprouvées comme trop grandes et injustes, d’échecs dont il faut parvenir chaque fois à se relever pour ne pas sombrer dans la dépression. L’insight n’est jamais sinon illusoirement le fruit d’un raisonnement : il est toujours le providentiel aboutissement d’une disposition en soi à accueillir ce qui fut rejeté, à se réconcilier avec l’autre. À la toute fin du film d’Ozon, vous verrez comment la JEUNE ET JOLIE Isabelle y parvient. Au printemps de sa vie! »

 

Napping Princess (collaboration spéciale Alexandre Lachance, boutique l’Imaginaire)

Présenté dans le cadre de la 2e édition de La fête de l’animation au Cinéma Le Clap, Napping Princess est le plus récent long métrage de Kenji Kamiyama à qui l’on doit les (déjà) grands classiques “Eden of the East” et “Ghost in the Shell: Stand Alone Complex” : simplement à voir ces titres, on tremble déjà d’anticipation. Cette fois-ci, Kamiyama nous propose un film d’animation beaucoup plus léger aux allures du Studio Ghibli, saura-t-il tenir la comparaison?

Kokone Morikawa est une jeune étudiante vivant seule en région avec son père méchano. Elle rêve souvent qu’elle est l’héroïne de son conte pour enfant préféré, soit l’histoire de la sorcière Ancien qui peut insuffler la vie grâce à sa tablette magique. Son royaume, le Royaume de Heartland qui voue un culte à l’automobile est en péril alors qu’un énorme monstre apparait et détruit tout sur son passage.

 

Kokone vit également sa part d’aventure alors que son père est arrêté par la police à la demande du président d’une importante compagnie automobile et que de sinistres individus s’introduisent chez elle à la recherche de plans cachés. Grâce à l’aide de son ami Morio, Kokone tentera de sauver son père et les plans enfouis dans la tablette de sa mère. Le rêve et la réalité se mélangent pour former une aventure haute en couleurs!

Parlons-en de couleurs puisque le visuel est réellement sublime. Les transitions entre les passages plus fantastiques et plus réalistes sont jouées à la perfection et cela devient une force du film. Les personnages sont charmants comme l’ourson Joy qui a un petit je-ne-sais-quoi Ghibli-esque, les amateurs de Ni No Kuni y verront peut-être un allié à la Drippy ? Ce n’est pas le seul rapprochement que l’on peut faire, le combat entre le Colosse et les robots géants font beaucoup penser à des scènes de Neon Genesis Evangelion, mais cela n’est pas pour déplaire, loin de là.

Les personnages et leurs alter-ego se complètent bien et cela permet de cerner les enjeux de chacun rapidement. En Kokone Morikawa, nous avons un personnage fort, mais qui n’a pas peur de demander de l’aide en cas de besoin : la persévérance et l’entraide, deux valeurs fortes dans les mangas généralement, sont bien mises de l’avant encore une fois. Son côté « endormie » permet de lier les deux univers ensembles à merveille, tout en rajoutant un brin de folie.

Au final, Napping Princess est un très bon film, un digne représentant des classiques films d’animation japonais. Tout au long des 111 minutes du film, on nous raconte une histoire avec un message pertinent, véhiculé par un côté fantastique. Si la fin semble être allongée quelque peu, c’est le voyage du début à la fin qui est génial. Ne manquez pas votre chance de voir ce petit bijou.