Une colonie, la nôtre

Une colonie réalisé par Geneviève Dulude-Decelles. Crédit photo Lena Mill-Reuillard & Etienne Roussy

Après plusieurs courts métrages et un documentaire, Bienvenue à F.L. qui se déroulait dans une école secondaire, Geneviève Dulude-De Celles nous raconte avec Une colonie l’histoire de Mylia (jouée par l’excellente Émilie Bierre), une jeune fille de douze ans qui fait son entrée à la polyvalente de sa région. Taciturne, elle anticipe avec une certaine anxiété la rentrée scolaire et sa rencontre avec des jeunes qu’elle ne connaît pas. Ce drame intimiste et touchant, arrive au Cinéma Le Clap le 1er février. Voici ce que sa réalisatrice avait à dire au sujet de son fort beau premier long métrage de fiction.

Pierre Blais : Votre documentaire portait sur la vie des jeunes au secondaire, Une colonie aussi. Il y a un lien évident à faire?

Geneviève Dulude-De Celles : Oui, car j’ai écrit Une colonie en parallèle du tournage de Bienvenue à F.L., donc j’avais en tête cet univers et mes propres expériences vécues à cette époque de ma vie. Tous les jeunes que j’ai rencontrés et mes réflexions sont venus nourrir mon écriture. Je voulais vraiment me rapprocher de quelque chose qui, à l’écran, allait être le plus authentique possible.

PB : L’adolescence des jeunes d’aujourd’hui est-elle similaire à la vôtre?

Émilie Pierre et Geneviève Dulude-Decelles réalisatrice. Crédit photo Julie Caron

GDD : Il y a beaucoup de similitudes entre ce que vivent mes jeunes personnages et ce que j’ai vécu. Même les gens plus vieux que moi se reconnaissent dans la dynamique sociale d’une grande école et dans les cours qu’on y donne. J’ai 32 ans, je suis loin de ce temps-là, et pourtant je sais qu’il y a beaucoup de choses qui sont intemporels. Dans la facture visuelle du film, je voulais justement qu’Une colonie ait une allure intemporelle, sans mette les téléphones cellulaires à l’avant-plan.

PB : La particularité de votre film, c’est aussi qu’on est loin des écoles du centre de Montréal, on est au cœur d’une région rurale.

GDD : Tout à fait, ça se déroule à Pierreville, près de Nicolet et pas tellement loin de Sorel-Tracy, l’endroit où j’ai grandi. C’est un coin où l’on retrouve la communauté des Abénaquis et j’ai donc voulu aussi y faire référence. Les jeunes des villages du coin voyagent en autobus scolaire, font de longs trajets pour se rendre à la polyvalente. Je n’aime pas qu’on idéalise la vie à la campagne, comme si c’était toujours bucolique. Chaque région a ses particularités et je voulais qu’on ressente les grands rangs bordés de maïs, que l’on voit ces villages où les jeunes se retrouvent devant le dépanneur. J’ai fait beaucoup de casting sauvage pour trouver mes jeunes acteurs afin de favoriser le sentiment que mes personnages viennent du coin. Je désirais, de cette façon, aller chercher la couleur locale, l’accent, le style vestimentaire des ados du coin.

Irlande Côté, Émilie Pierre, Jacob Whiteduck-Lavoie. Crédit photo Julie Caron

PB : Comment avez-vous trouvé le titre, quelle signification lui donnez-vous?

GDD : J’y trouve un double sens. Oui, c’est l’histoire d’une jeune fille qui tente de trouver ses repères, mais c’est aussi un reflet de société et de notre ouverture envers l’autre. J’aimais que le titre réfère à un clan, à un groupe et à une colonie de vacances mais aussi à la colonisation et à notre rapport aux Premières Nations.

PB : Le film sort en salle le 1er février. À quoi ressembleront les prochaines semaines pour vous et votre équipe?

GDD : On est très heureux de partir le 7 février pour Berlin, car mon film sera présenté dans la section Generation Kplus du festival, une section consacrée aux longs métrages sur la jeunesse. L’an passé, Les Faux Tatouages de Pascal Plante avait été présenté dans la même section. Ensuite, ce qu’on veut, c’est que le film soit vu par le plus de gens possible, des jeunes surtout. On peut, et je le crois sincèrement, se retrouver facilement dans le parcours de mon héroïne. On tente actuellement d’accompagner le plus possible la diffusion du film un peu partout, car il sera lancé dans des villes comme Joliette, Sorel, Drummondville et Sherbrooke et pas uniquement à Montréal et Québec. On veut aller à la rencontre du public en espérant qu’il soit au rendez-vous.

L’équipe du film sera au Cinéma Le Clap de Sainte-Foy, le dimanche 3 février, pour discuter avec les spectateurs lors la séance prévue à 14 h 10.

Février 2019 en dix titres

Capharnaum de Nadine Libaki.

En ce mois le plus court de l’année et celui de la tenue des Oscars, on sera aussi curieux de voir du Québec Mon ami Walid, Troisième Noces du Belge David Lambert (en coproduction) et Les Routes en février de Katherine Jerkovic ainsi que de France, Edmond, une comédie sur la création de Cyrano au théâtre. Mais bref, voici les dix films principaux dont il faudra surveiller la sortie :

1- Capharnaüm : La Libanaise Nadine Labaki (Caramel) nous offre une nouvelle réalisation troublante sur un enfant qui, ayant rejeté ses parents, doit se débrouiller seul dans les rues de Beyrouth, s’occupant ensuite de subvenir aux besoins d’un bébé en l’absence de sa mère. Ovationné à Cannes où il a reçu en 2018 le Prix du jury, Capharnaüm risque de provoquer un flot de larmes comme Lion l’an passé.

2- Pupille : Ce film signé Jeanne Herry (fille de Miou-Miou et de Julien Clerc) relate toutes les étapes menant à l’adoption d’un jeune enfant en faisant le portrait de tous ceux qui sont impliqués dans le processus : mère biologique, mère adoptive, intervenants des services sociaux, etc. Sandrine Kiberlain, Gilles Lellouche et Élodie Bouchez sont au générique.

3- Avec un sourire, la révolution! : Ce documentaire d’Alexandre Chartrand, qui fait suite au Peuple interdit, met en lumière les efforts des Catalans pour valider leur droit à un référendum sur l’indépendance de leur nation, et ce, face à un gouvernement espagnol intransigeant.

4- Répertoire des villes disparues : On ne sait jamais trop à quoi s’attendre d’un film de Denis Coté. Ici, pour le mieux, il plante sa caméra en milieu rural pour nous raconter une histoire de deuil douloureux qui se transforme en étrange récit de fantômes. Une proposition audacieuse à ne pas rater.

5- 5 Films d’ animation : Difficile d’en choisir un seul car de Miraï, ma petite soeur, en passant par  Astérix : le secret de la potion magique, Alita : Battle Angel, Lego Movie 2 et How To Train Your Dragon 3, les films d’animation destinés à toute la famille seront nombreux ce mois-ci à envahir les écrans. Ça sent la semaine de relâche.

6- Doubles vies : Vincent Macaigne joue un auteur d’autofiction, Juliette Binoche une actrice célèbre et Guillaume Canet un éditeur réfractaire au numérique. Dans cette comédie d’Olivier Assayas, les personnages livrent des dialogues savoureux par l’entremise de scènes drôles et malaisantes. Bref, Tchekhov rencontre Woody Allen dans un univers qui rappelle aussi celui du Déclin de l’empire américain.

7- La Saveur des ramen : Jeune chef réputé au Japon, Masato décide d’aller à Singapour, là où ses parents se sont connus, afin d’en apprendre plus sur ses origines et sur la cuisine locale. Un film aux images gastronomiques qui font saliver à souhait.

8-Fighting With My Family (Lutte en famille): Cette comédie sur une famille de lutteurs met rn vedette Dwayne Johnson. L’intérêt vient de son réalisateur, le Britannique Stephen Merchant, longtemps compère télévisuel de Ricky Gervais misant sur l’humour malaisant.

9- Miss Balle (Miss Bala) : Ce remake d’un polar mexicain fort efficace, sorti en 2011, met en lumière le monde interlope de Tijuana à travers le destin de Gloria qui, une fois sur place, recherche sa meilleure amie récemment disparue. Catherine Hardwicke est aux commandes du long métrage.

10- Une colonie : Ce drame québécois touchant mise sur des acteurs adolescents au grand naturel devant l’écran. Réalisé par Geneviève Dulude-De Celles, Une colonie raconte l’arrivée au secondaire de Mylia dans une polyvalente située en plein cœur d’une région rurale. Un coming of age movie beau et sensible, une vraie belle surprise en ce début d’année.

Plonger dans La Grande Noirceur

La Grande Noirceur, film réalisé par Maxime Giroux.

La Grande Noirceur, c’est le titre du quatrième long métrage de Maxime Giroux. Un film qui prend l’affiche le 25 janvier et qui fait suite au beau succès obtenu avec son précédent, Félix et Meira, drame doux et amer portant sur une romance compliquée entre un Québécois pure laine et une Juive hassidique. Malgré le succès critique de ce dernier, film qui avait fait le tour du monde dans les différents festivals de cinéma, le réalisateur s’est vu refuser par la SODEC le financement de son prochain long métrage. En compagnie de Simon Lavoie et d’Alexandre Laferrière, Maxime s’est alors lancé dans l’écriture d’un nouveau projet qu’il allait réaliser dans l’urgence, portant le titre de La Grande Noirceur. 

Voici ce que le cinéaste avait à nous dire au sujet de sa nouvelle production au propos sombre et aux images lumineuses d’une Amérique en perte de repères.

Le Clap : Votre film, qui met à nouveau en vedette Martin Dubreuil dans le rôle principal (aux côtés de Romain Duris et Reda Kateb), est le résultat direct du refus de la SODEC de financer un autre projet de film, non?

Maxime Giroux, cinéaste.

Maxime Giroux : Tout à fait. Je ne suis ni le premier ni le dernier à essuyer un refus de la SODEC mais oui, ça m’a poussé à faire La Grande Noirceur avec une énergie nouvelle, un très petit budget et une petite équipe pour m’appuyer. On désirait le tourner rapidement, car après les trois refus de financement de l’institution, je ne voulais pas retourner dans un processus de deux, trois, voire quatre ans pour lancer un autre projet de film. Félix et Meira  a gagné plein de prix. J’avais envie qu’on me fasse confiance, mais ce n’est pas arrivé, alors tant pis. Comme cinéaste, j’aime tourner et j’ai eu la chance d’avoir l’appui de Téléfilm Canada. Tout s’est emboîté très rapidement par la suite pour concrétiser le tournage.

Le Clap : En centrant l’histoire sur le personnage de Philippe, un déserteur qui fuit la conscription en participant à un concours d’imitateurs de Charlie Chaplin dans le fin fond des États-Unis que vouliez-vous dire?

Martin Dubreuil dans La Grande Noirceur.

MG : Je voulais établir un parallèle avec l’ère Trump. On voulait faire un film déstabilisant, ancré dans l’actualité malgré le contexte historique du récit. Ça commence avec un discours de Charlie Chaplin pour The Great Dictator et l’intolérance qu’il dénonçait jadis, bien on est encore dedans aujourd’hui, comme si presque rien n’avait changé. On pense à fermer les frontières, c’est un constat d’échec à l’échelle mondiale. L’humain semble avoir besoin du pouvoir et de la violence qui s’incarnent dans mon film par les personnages étranges que Philippe croise sur sa route. Notre scénario est le résultat d’une pensée critique face à l’ère dans laquelle l’Amérique et le monde occidental semblent plongés actuellement.

Le Clap : Votre film est assez glauque dans son ensemble et ça peut déstabiliser plus d’un, non?

La Grande Noirceur de Maxime Giroux, avec Martin Dubreuil.

MG : Effectivement et je l’assume. Il est fataliste et pas très porteur d’espoir. Le seul qui rêve, c’est le vendeur qui mise que sur le capitalisme, c’est dire. Le Québec a longtemps échappé à un système porté vers le capitalisme sauvage qui lui provient du modèle anglo-saxon. Et là, ça nous rattrape littéralement. On joue cette game. Le Québéc inc., pour moi, c’est une dérive et ça nous fait perdre notre identité profonde. L’imitation de Chaplin, c’est notre perte d’identité culturelle, le tout filmé dans des décors naturels de la Californie et du Nevada. On n’a rien changé. Ce qu’on voit dans le film, c’est l’Amérique d’hier, mais qui est encore là aujourd’hui. On a filmé une ville décrépie qui a déjà été la plus riche au monde lors de la ruée vers l’or.

Le Clap : Quelles sont vos attentes avec La Grande Noirceur?

MG : Je suis conscient que mon film peut faire un peu chier le public et qu’il n’est pas très vendeur dans son ton. Mais j’avais envie de brasser les spectateurs. Le cinéma, indépendant du moins, c’est le dernier endroit où on peut se permettre d’être encore audacieux. Ceux qui voient mon film l’aiment ou le détestent. Il a le mérite de ne laisser personne indifférent et j’en suis très content. C’est important de faire des œuvres avec une signature forte et éviter de toujours réconforter le spectateur.

Le prochain long métrage de Maxime Giroux est en demande de financement, une fois de plus, et racontera l’histoire du scandale financier de Norbourg et de Vincent Lacroix. Le film sera à vocation plus commerciale, à plus gros budget, et mettra en vedette Alexandre Landry et Vincent-Guillaume Otis.

Janvier 2019 en dix films

Border réalisé par Ali Abbasi

Janvier, premier mois de l’année, mois qui nous donne du temps pour les films qu’on n’a pas eu le temps de voir avec la multitude de titres ayant pris l’affiche durant le temps des Fêtes. Mais plusieurs nouveautés pas piquées des vers seront aussi lancées durant ce mois. Alors, voici les dix titres à surveiller en priorité pour janvier 2019.

– Border : Cette coproduction entre le Danemark et la Suède est l’une des plus belles et des plus étranges réalisations des derniers mois. Ali Abbasi a concocté un film touchant et angoissant, alliant les belles qualités du thriller et du drame fantastique. On est encore sous le choc.

La Grande Noirceur : Martin Dubreuil joue un imitateur de Charlie Chaplin fuyant la conscription et qui rencontre au fin fond des États-Unis deux Français (joués par Romain Duris et Reda Kateb) peu catholiques. Ce film de Maxime Giroux à l’atmosphère étrange est un exercice de style aussi beau qu’audacieux.

If Beale Street Coud Talk (Si Beale Street pouvait parler) : Après Moonlight, Barry Jenkins accouche d’un film revendicateur, humaniste et romantique à la fois, tiré de l’œuvre de James Baldwin. À voir!

Glass (Verre) : M. Night Shyamalan mélange ici les anti-héros de deux de ses films, Unbreakable et Split. Ainsi, Samuel L. Jackson, Bruce Willis et James McAvoy vont s’affronter dans ce film fantastique que plusieurs attendent avec impatience.

Malek : Guy Édoin lance son quatrième long métrage, adaptant le roman Le Cafard de Rawi Hage portant sur le malaise d’un Libanais qui, après un hiver à Montréal, tente de sortir de sa dépression avec l’aide d’une amoureuse et d’une psychologue. On est curieux de voir le résultat de ce film qui se fait attendre depuis un an.

Destroyer : Ce mois-ci, Nicole Kidman jouera dans Upsideremake d’Intouchables et aussi dans Destroyer, un thriller où sa performance serait incroyable. Transformée physiquement, elle y incarne une agente spéciale qui doit faire face au gang californien qu’elle avait infiltré des années plus tôt.

Des histoires inventées : Signé Jean-Marc E. Roy, ce documentaire, comme on en voit rarement, rend hommage à son sujet avec une immense inventivité. Et le sujet ici, c’est le réalisateur André Forcier, l’homme à la filmographie la plus singulière du cinéma québécois.

Stan & Ollie : Une biographie sur le duo le plus drôle de l’histoire du cinéma, il était temps. Steve Coogan et John C. Reilly incarnent Laurel et Hardy. Et on a hâte de voir le résultat sur grand écran.

On the Basis of Sex (Une femme d’exception) : Long métrage biographique qui raconte le combat de l’avocate Ruth Bader Ginsburg contre la discrimination faite aux femmes. Felicity Jones et Armie Hammer se donnent la réplique dans cette réalisation de Mimi Leder (Girlfight).

Cold War (La Guerre froide) : Pawel Pawlikoski, le réalisateur polonais derrière Ida, est de retour avec un autre long métrage tourné en noir et blanc. Son film raconte la sombre histoire d’amour entre un musicien et sa muse dans les années 50, deux Polonais qui tentent de fuir le communisme pendant une tournée.