Garde à vue à Roubaix

Arnaud Desplechin réalise des films depuis 1992, délivrant un cinéma qui s’attarde souvent aux relations sociales et familiales complexes. On lui doit notamment Un conte de Noël et Rois et reine. Au fil des ans, ses œuvres ont été adulées par la critique française et internationale. Pour son nouveau long métrage, Roubaix, une lumière, le cinéaste s’est installé dans cette ville du nord de la France où il a passé son enfance, et ce, afin d’y mettre en scène une histoire glauque et véridique survenue en 2002. Un crime qui l’avait profondément marqué et qui avait fait l’objet d’un troublant documentaire. Ce fait divers inusité, à savoir le meurtre d’une vieille dame commis par ses deux jeunes voisines, a germé en Desplechin qui y a vu un scénario idéal pour créer à l’écran un polar intimiste ayant comme toile de fond la vie dans le Roubaix d’aujourd’hui. Son long métrage, au final, est devenu un huis clos saisissant, rappelant le Garde à vue de Claude Miller, mettant à profit tout le talent de ses interprètes principaux : Roschdy Zem (gagnant du César du meilleur acteur) dans le rôle de l’inspecteur Daoud et Sara Forestier et Léa Seydoux dans le rôle des voisines soupçonnées de l’homicide sordide. Rencontre avec Arnaud Desplechin, un auteur en pleine maîtrise de son art.

Le Clap : Vous êtes né à Roubaix, mais c’est après votre départ que ce drame est survenu et qu’il vous a inspiré fortement non?

Arnaud Desplechin, réalisateur.

Arnaud Desplechin : Oui, ce sont mes parents qui m’ont raconté cette histoire. Ils habitent encore là-bas. Ce fait divers a marqué la région d’autant plus que ce sont des femmes qui sont au cœur de tout ça, criminelles et victime. À cette époque, le documentaire se tournait. Un an plus tard, je tombe là-dessus à la télé sur ARTE avec comme résultat que j’ai été complètement obnubilé par ces deux meurtrières. Puis, j’ai pris mon temps. Il le fallait, car cet événement est douloureux pour la famille de la victime. Ça m’a permis de trouver la bonne façon de raconter le tout au cinéma. Aussi, depuis mon départ, Roubaix est devenue une ville très algérienne et il fallait que j’aie la maturité, comme Caucasien, pour illustrer ce changement de la bonne manière à l’écran.

Le Clap : Roschdy Zem joue Daoud, l’inspecteur, de façon remarquable. C’est un acteur formidable et encore trop peu connu, n’est-ce pas?

Léa Seydoux et Roschdy Zem

AD : Oh oui! Il a une présence incroyable, une présence française et un charisme américain. Il dégage une noblesse stupéfiante, une dignité qui transpire à l’écran, un côté princier aussi. Je fais son éloge, car pour moi, c’est le Lino Ventura d’aujourd’hui. Pendant le tournage, j’étais étonné par la précision de son jeu. Avec sa voix, son phrasé, il me rappelait Jean-Louis Trintignant. Sa performance nourrit son personnage. On sent qu’il a un passé et qu’on n’a pas besoin de le creuser pour mieux comprendre sa psychologie. Roschdy, c’est un iceberg.

Le Clap : Du côté des actrices, c’est assurément audacieux de former un couple avec Léa Seydoux et Sara Forestier?

AD : Au premier regard, tout les oppose. Sara, c’est la sauvagerie, Léa, c’est au contraire la douceur. Avec Roschdy, elle forme un tout qui m’a permis de bien mette en scène le récit. Je me suis rappelé le cinéma de Sydney Lumet (Serpico, Un après-midi de chien, Le Verdict) et au tournage, j’ai vu l’influence qu’il avait eu sur moi, ce cinéma mêlant polar et société. C’était génial. J’avais envie de parler de gens démunis, humiliés, sans complaisance ou charité. Je voulais faire de mon film un suspense métaphysique. On sait qui sont les coupables mais l’intérêt, c’est comment ce duo de femmes a procédé? C’est là que ça se joue. La scène de la reconstitution du crime avec Roschdy, Léa et Sara est d’une importance capitale dans mon film.

Le Clap : Vous parlez de Roubaix, une lumière avec énormément d’émotions, votre film vous a marqué?

AD : Oui, tout à fait. C’est drôle à dire, mais j’ai vraiment été bouleversé par mon film, par cette histoire si particulière. Grâce à ce tournage, j’ai aussi pu renouer avec ma ville et la communauté en entier qui l’habite. Tous ceux qui jouaient des petits rôles dans le film et qui venaient de la place ont eu un effet positif sur moi. J’en garde de grands et beaux souvenirs. Maintenant, je dois passer à un prochain projet, me remettre à l’écriture dans les semaines qui viennent et espérer tourner mon prochain film vers la fin de l’année si tout va bien.

Roubaix, une lumière sera à l’affiche au Clap dès le 6 mars 2020.

Cette entrevue a été réalisée sur invitation, dans le cadre de la 22e édition des Rendez-vous du cinéma d’UniFrance 2020, à Paris.