Dix incontournables pour novembre 2018

À tous ceux qui ne me lisent pas, film réalisé par Yan Giroux.

Ouf, par où commencer ? En novembre, on aurait pu facilement faire deux top 10 tellement le choix est vaste et le menu cinéma succulent. Les grosses pointures américaines seront au rendez-vous avec The Girls in the Spider’s Web, Casse-Noisette et les quatre royaumes, Bohemian Rhapsody, Les Animaux fantastiques 2 et Creed 2. Côté québécois, Monia Chokri incarnera avec humour la suicidaire Emma Peeters, L’Amour et Limonade promettent d’être bouleversants et Debbie Lynch-White est au générique de Happy Face. La France n’est pas en reste avec deux histoires touchantes : Nos batailles et La Prière. L’Hexagone proposera aussi une réflexion brillante sur l’amour et la fidélité avec Mademoiselle de Joncquières. Xavier Dolan donnera la réplique à Nicole Kidman dans Boy Erased et Melissa McCarthy, selon la rumeur, sera surprenante dans Can you Ever Forgive Me. Et tout ça, sans compter les confirmations toujours attendues pour les sorties à Québec de At Eternity’s Gate sur Van Gogh et If Beale Street Could Talk de Barry Jenkins. À travers cette fournée remarquable, voici les titres que j’ai choisis pour savourer le mois des morts.

À tous ceux qui ne me lisent pas : Cette première réalisation de Yan Giroux est une véritable surprise. Martin Dubreuil et Céline Bonnier y sont formidables, les images sont d’une beauté incroyable, et l’histoire, relatant librement la vie du défunt poète Yves Boisvert, s’avère aussi drôle que touchante.

The House that Jack Built (La Maison que Jack a construite) : Le nouveau Lars von Trier est comme à l’habitude dérangeant. On y suit un tueur en série joué par Matt Dillon qui, à travers des actes d’une rare violence, aime bien associer la philosophie et la culture à ses méfaits. Étrangement, le film ne serait en salle que deux jours à la fin de novembre. Réservez vos sièges!

Les Salopes ou le sucre naturel de la peau : Brigitte Poupart remportera sûrement un prix Iris comme meilleur actrice pour son rôle d’enseignante et de mère de famille infidèle très portée sur la chose, et qui tente d’en savoir plus sur les effets de l’attirance sexuelle sur la peau. Voilà une proposition plus qu’audacieuse signée Renée Beaulieu.

Green Book : Discrètement, ce film est en train de devenir l’un des favoris

Green Book avec Mahershala AliI et Viggo Mortensen

de la prochaine course aux Oscars. Ce drame biographique relate la relation entre un jazzman et son chauffeur lors d’une tournée dans l’Amérique profonde au début des années 60. Mahershala Ali et Viggo Mortensen y seraient incroyables.

The Favourite (La Favorite) : J’adore les oeuvres du Grec Yórgos Lánthimos. Ici, il dirige Emma Stone et Rachel Weisz dans un drame historique qui dépeint un conflit entre des personnalités ambitieuses à la cour d’Angleterre.

Le Poirier sauvage : Que dire sinon qu’un nouveau film signé du Turc Nuri Bilge Ceylan est un incontournable, lui qui sait si bien examiner la nature humaine sous toutes ses coutures et la mettre en images avec grâce, profitant des majestueux paysages de son Anatolie natale.

-Le Grand Bain : Gilles Lellouche a réunit une distribution incroyable pour sa comédie abordant avec tendresse la dépression chez les hommes au mi-temps de leur vie. Guillaume Canet, Benoît Poelvoorde, Mathieu Amalric et le chanteur Philippe Katerine font équipe en nage synchronisée dans ce film qui fait un tabac en France présentement.

Overlord : Cette production de J.J. Abrams dont le récit se déroule peu avant le célèbre jour J met en scène des soldats américains luttant contre une horde de zombies créés en laboratoire par les nazis en sol français. La bande-annonce est du bonbon pour les amateurs du genre.

Widows (Veuves) : On dit beaucoup de bien du nouveau Steve McQueen (Shame, 12 Years a Slave), une fiction vue comme un divertissement enlevant, engagé et féministe. Son générique fait saliver et on est curieux de découvrir ce film de braquage.

Suspiria : Luca Guadagnino nous transporte dans un univers fort éloigné de son œuvre précédente (Call me by your Name) en réalisant une nouvelle version de ce classique de l’horreur italien de Dario Argento. Tilda Swinton et Dakota Johnson sont au cœur de ce récit macabre et glauque, soutenu par la musique de Thom Yorke de Radiohead.

Dupieux fidèle Au poste!

Quentin Dupieux est un cinéaste français au cheminement très particulier, du moins autant que son univers filmique constitué de longs métrages humoristiques inclassables. Son plus récent film Au poste! est bien évidemment une comédie, très loufoque, très théâtrale, et qui rappelle invariablement certaines œuvres marquantes du cinéma français des années 70 et 80. De passage à Montréal à l’occasion du Festival du Nouveau Cinéma, le réalisateur nous a donné des détails par téléphone sur sa plus récente création, en salle à Québec, au Clap, dès le 19 octobre.

Éditions le Clap : Avant de tourner Au poste!, vous vous amusiez toujours à réaliser vos films à l’extérieur du pays, notamment aux États-Unis. Considérez-vous l’aventure de ce nouveau projet comme un retour au bercail?

Quentin Dupieux : Oui, tout à fait et c’était voulu. J’avais fait le tour de mon voyage en Amérique. C’est mon sixième long métrage, mais le tout premier tourné en France.

ÉLC : Au poste! relate une garde à vue dans un poste de police alors qu’un inspecteur, joué par Benoît Poelvoorde, interroge le témoin d’un meurtre. Comment avez-vous géré la présence de l’acteur sur le plateau, lui qui a une personnalité disons très expansive?

Grégoire Ludig, Quentin Dupieux, Benoît Poelvoorde

QD : J’avais entendu de sales histoires sur Benoît par des gens du milieu qui tentaient d’ailleurs de me décourager de l’engager pour le film. On disait de lui qu’il était infernal, très compliqué, etc. En fait, j’ai compris rapidement comment ce garçon fonctionne. Dès qu’il s’ennuie sur un plateau, il fout le bordel. Heureusement, mon rythme de tournage est très rapide. Sur mon plateau, il y a très peu d’attente, car je m’occupe moi-même de la lumière et de l’image, alors ça a réglé le problème. Benoît tournait toute la journée, sans temps mort, et il a ainsi retrouvé le plaisir de jouer.

ÉLC : Votre film évoque les films policiers qui se faisaient en France dans les années 70 et aussi, bien évidemment, Garde à vue de Claude Miller pour l’aspect face à face et huis clos. On pense également pour l’humour absurde à Buffet froid de Bertrand Blier. Ce sont des comparaisons justes?

QD : Tout le monde me cite le film de Blier et c’est normal, j’ai grandi avec Buffet froid alors ça transparaît inévitablement. Mais il y a aussi l’influence du Père Noël est une ordure ou encore du Magnifique avec Belmondo. J’avais envie de faire de bons dialogues à la française comme dans ces films et Le Père Noël… a ce côté théâtral qu’Au poste! a aussi.

ÉLD : Parlons d’argent. Vos productions sont simples et efficaces. Vous faites beaucoup avec peu, non? Rêvez-vous d’un plus grand budget pour vos films?

Quentin Dupieux, réalisateur.

QD : Je suis très à l’aise avec  un budget de 3,5 millions d’euros. Dans cette configuration, je fais exactement ce que je veux, sans pression. Je tourne comme ça me chante et les producteurs sont rassurés, car les enjeux financiers sont minimes. On me donne le final cut, ce contexte me permet d’être libre dans la création. Alors, non, je suis très heureux avec de petits budgets. Un film qui coûte cher et qui ne marche pas, c’est violent pour une carrière.

ÉLD : Poelvoorde accepte de tourner pour vous et Jean Dujardin sera au générique de votre prochaine réalisation, Le Daim. On parle de grosses pointures. Est-ce à dire que votre réputation de cinéaste est en pleine ascension?

QD: Sûrement un peu. Poelvoorde ne connaissait pas mon cinéma cela dit, il a aimé le scénario et embarqué dans mon aventure. Jean, lui, il était partant et connaissait mon univers. J’avoue que tout est génial et que j’ai beaucoup de chance de tourner avec eux.

ÉLC: Finalement, comment considérez Au poste! à travers votre filmographie?

QD: C’est mon premier classique. Je le dis sans prétention. Je pense qu’il sera diffusé chaque année à la télé pour le plaisir des téléspectateurs. Mes autres films sont plus marginaux. Ici, on est dans le plaisir tout simple du cinéma. Mon prochain film, Le Daim avec Jean Dujardin, sera quant à lui plus proche du cinéma amateur et sauvage que j’aime également faire.

Petite bio sommaire : Fils de garagiste parisien, Quentin Dupieux se fait remarquer voilà  vingt ans par un client de son père, Laurent Garnier, DJ et vedette de la french touch de l’époque. Il collabore avec ce dernier et travaille aussi avec Michel Gondry, développant ses talents de vidéaste iconoclaste tout en touchant à la musique électro sous le pseudonyme de Mr. Oizo. Par la suite, il se lance dans le cinéma en réalisant sept longs métrages échelonnés sur une dizaine d’années. Citons entre autres Rubber, une comédie d’horreur mettant en vedette un pneu tueur en série, Wrong Cops mettant en scène le chanteur Marilyn Manson et Réalité avec Alain Chabat.

Ces chanteurs qui jouent!

Charles Aznavour n’est plus. Il aura connu une carrière phénoménale avec sa voix unique et surtout une façon bien à lui d’écrire des textes où tous pouvaient se reconnaître. Aznavour devenait littéralement chacun des personnages de ses chansons comme sait si bien le faire un comédien. Il les faisait prendre vie, devenant tour à tour un homme rêvé, un homme brisé, un homme efféminé. On le regrettera.

Sa carrière, bien sûr, ne se résume pas qu’à ses multiples prestations sur scène et à ses dizaines de succès sur disques car l’Arménien avait aussi connu une très honorable carrière au grand écran et ça, on tend à l’oublier. Il était pourtant d’un naturel confondant dans la plupart de ses rôles. Durant les années 40 et 50, il fait quelques présences dans des films sans être vraiment remarqué. Il faut attendre 1960 et sa performance comme premier rôle dans Tirez sur le pianiste de François Truffaut pour réellement constater son aisance devant la caméra. Il tourne par la suite de deux à trois longs métrages par an, dont plusieurs polars très efficaces et plusieurs productions internationales grand public comme Intervention Delta ou plus pointue comme le chef-d’œuvre de Schlöndorff, Le Tambour. Chabrol et Lelouch lui font également confiance. Les années 80 et 90 seront marquées par de multiples rôles qu’incarnera l’artiste au petit écran. Sinon, on retiendra Ararat d’Atom Egoyan, un film (plutôt bancal) lancé en 2002 qui avait le mérite de faire le point en fiction sur le génocide arménien.

Chabrol, Serrault et Aznavour sur le plateau des Fantômes du chapelier.

En France, les chanteurs comme Aznavour ayant connu de belles carrières au grand écran sont nombreux. Comme si une tradition leur permettait de faire le pont entre ces deux formes d’art, et ce, sans discrimination. Yves Montand, Jacques Dutronc et Patrick Bruel sont parmi ceux qui se sont démarqués au même titre qu’Aznavour. Johnny Hallyday et Jacques Brel ont aussi été vus dans quelques productions. Certains acteurs, eux, ont fait le chemin inverse comme Guy Marchand et Lambert Wilson. Ailleurs, on se souviendra de Frank Sinatra ou de David Bowie. Au Québec, Félix Leclerc (Les Brûlés), Claude Gauthier (Entre la mer et l’eau douce), Donald Lautrec (Gina), Robert Charlebois (Un génie, deux associés, une cloche) nous viennent en tête. Et nous pourrions consacrer un texte en entier au pendant féminin de ce phénomène. Ce sera pour la prochaine fois. D’ici là, les chansons et les films d’Aznavour résonneront pour toujours comme des plaisirs indémodables.