Le plus beau titre de film de l’année

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Réparer les vivants vient de prendre l’affiche au Clap. Ce film, réalisé par Katell Quillévéré, possède assurément le plus beau titre de l’année, titre du roman dont il tire son origine, une œuvre signée Maylis de Kerangal. Le long métrage qui en découle met en vedette une pléthore d’acteurs provenant de différents horizons et interprétant, pour plusieurs d’entre eux, des rôles étonnants et détonnant des castings habituels qui leur sont dévolus.

La jeune et brillante cinéaste Katell Quillévéré (Un poison violent, Suzanne), a réuni autour de cette histoire touchante de don d’organes, les Québécoises Anne Dorval et Monia Chokri, le Belge Bouli Lanners et les Français Tahar Rahim, Emmanuelle Seigner, Alice Taglioni et Dominique Blanc. Rencontrée récemment lors d’une journée de promotion à Paris, la réalisatrice a bien voulu revenir sur son troisième long métrage, au titre fort et puissant, qu’elle signe avec énormément de panache et de doigté.

Le Clap : Comment résumez-vous l’histoire de Réparer les vivants?

Katell Quillévéré : C’est l’odyssée d’un cœur, c’est le voyage d’un cœur, du corps d’un être qui va perdre la vie vers celui d’une femme qui attend ce cœur pour prolonger sa vie. Et à travers ce voyage, on explore toutes les émotions qui traversent ceux qui font partie de la chaîne et qui aident à ce que cette vie soit prolongée.

LC : Quelle est la principale différence entre le livre et votre film?

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Anne Dorval

K.Q. : La plus grande différence se retrouve autour du personnage joué par Anne Dorval, une histoire très peu développée dans le roman. Moi, j’ai décidé de lui donner plus de place car, dans le livre, son histoire n’était que symbolique. C’était tout simplement celle qui reçoit le cœur. J’ai voulu lui donner plus d’importance, plus de scènes, afin de faire en sorte qu’on connaisse mieux cette femme, mais aussi ses enfants et son histoire d’amour.

L.C. : Pourquoi avoir choisi deux Québécoises, Monia Chokri et Anne Dorval, pour jouer dans un film où les personnages sont français.

K.Q. : Monia, je l’avais vu dans les films de Xavier Dolan évidemment, mais c’est surtout dans Gare du nord de Claire Simon qu’elle m’a éblouie dans le rôle d’une agente immobilière. Elle y était très forte et là j’ai eu l’idée de lui donner le rôle de l’infirmière. Anne, je l’ai découverte dans les films de Xavier aussi et dans Mommy, j’ai pris la mesure de l’actrice immense qu’elle était. En plus, dans sa catégorie d’âge, c’est l’actrice qui m’a le plus bouleversée, et ce, depuis longtemps.

L.C. : Pendant que Monia et Anne jouent des Françaises, il y a Bouli Lanners et Tahar Rahim en médecins. Ici, on est presque dans le contre-emploi si on regarde les rôles qu’ils ont tenu de façon générale au cinéma. C’était voulu?

K.Q. : J’ai un grand amour des acteurs et une grande confiance en eux. Je ne me pose jamais la question, je les choisi pas en fonction de ce qu’ils ont déjà fait. Je pars du principe qu’un acteur, s’il est bon, il peut tout faire en fait, et j’ai plutôt envie, chaque fois, de les amener à un endroit où ils ne sont jamais allés. C’est un risque à prendre, mais si on ne prend pas de risque, on risque de ne pas faire un bon film. C’est ce qui va donner de la force, de la puissance au récit de redécouvrir un acteur dans un autre registre. Et je crois que ça fait partie de notre mission comme cinéaste.

L.C. : Il y a comme plusieurs films dans Réparer les vivants, voir diverses types de mises en scène. Ça commence avec le film sportif et adolescent, puis le mélodrame et enfin l’œuvre clinique, médicale, non?

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Katell Quillévéré, réalisatrice.

K.Q. : Tout à fait. Avec mon chef opérateur, on a conçu l’esthétique du film en amont et c’est donc un long métrage qui assume ces changements de ton. Je voulais faire un récit qui mue. Ça part du teenage movie à hauteur des adolescents, une histoire fauchée par la mort et qui se confronte à une réalité beaucoup plus brute. Puis, la vie reprend è travers un mélodrame avec l’arrivée du personnage joué par Anne Dorval et inspiré par Douglas Sirk et James L. Brooks. Enfin, on rebascule une dernière fois avec la chirurgie. C’était quelque chose de très réfléchi. Évidemment, la scène de greffe, j’y ai pensé, j’était gêné même à la base. Alors, j’ai assisté à une greffe du cœur afin de mieux comprendre tout ça. C’était une expérience très forte pour moi. Voir ce cœur posé dans un corps étranger et se remettre à battre, c’était tellement beau et fort, pas du tout gratuit. Là, j’ai pris la mesure du point de vue scientifique, mais aussi existentiel. Je me suis rendu compte à quel point on est renvoyé au mystère de l’existence. C’est le cœur du film.

L.C. : Quelle facette de votre métier aimez-vous le plus?

KQ. : Le tournage! Parce que c’est quelque chose qui a à voir avec le direct, le vivant. C’est n’est pas si loin d’une opération chirurgicale même. On a beaucoup travaillé avant de tourner, presque deux ans et là, ensuite, il faut lâcher prise, accueillir la météo, la proposition d’un acteur. Il faut rentrer la vie sur un tournage, c’est presque une discipline enrichissante. Et j’adore être en groupe, partager un tournage avec ceux que j’aime. Et faire un film, c’est se battre longtemps, alors j’attache beaucoup d’importance au moment où je le fabrique. On ne maîtrise pas grand-chose sur le résultat de tout ça, à savoir s’il sera bien accueilli, s’il marchera en salle. Donc, j’essaie de prendre le plus de plaisir possible, car c’est tout ce qui me restera au final. J’essaie de partager le plus de choses lors du tournage, car c’est là que je puiserai l’énergie pour en faire un autre.